ROSENTHAL Marthe, Gilbert, Sylvie, [David] [144]

Sylvie ROSENTHAL [CDJC, Mémorial de la Shoah, en ligne]
Sylvie ROSENTHAL [CDJC, Mémorial de la Shoah, en ligne]

Marthe ROSENTHAL née LEISCHENER est née le 14 novembre 1901 à Paris (6ème arrondissement) [Père : LEISCHENER Joseph né le 10 juillet 1871 à Paris (11ème arrondissement), ferblantier et FELDMANN Dora, née le 19 novembre 1872 à Kichinev, couturière]. Kichinev actuelle Chișinău, capitale de la Moldavie, est tristement célèbre pour ses deux pogroms de 1903 et 1905.

Joseph LEISCHENER, le père de Marthe était artisan ferblantier, plusieurs fois primé au concours Lépine. Il a effectué son service militaire à Toul et pendant la guerre de 1914-1918 fut renvoyé dans ses foyers pour charge de famille (six enfants). Il décède en 1940 lors de l’exode.

Elle se marie avec David ROSENTHAL né à Podu-Turc le 16 février 1894 [Père : Michel né en 1857 à Podo-Turc et Mère : Mina ZELIKOVITCH née en 1862 à Podo-Turc également] , employé de commerce au moment de son mariage, roumain d’origine, le 26 août 1924 à Paris (15ème arrondissement). De cette union vont naître deux enfants : Gilbert né le 25 septembre 1927 à Paris (14ème arrondissement) et Sylvie née le 08 juin 1930 à Paris (13ème arrondissement). Le couple est séparé depuis 1937 et David exploite un commerce de fournitures pour tailleurs tandis que Marthe, au départ vendeuse en chaussures, s’occupe de ses enfants.

Actes d’état civil Mairie de Paris [V4E_08587 et 15 M312, en ligne]

Acte de mariage ROSENTHAL/LEISCHENER [Dossier naturalisation David ROSENTHAL AN BB/11/9790 dossier n°3267X27]
Acte de mariage ROSENTHAL/LEISCHENER [Dossier naturalisation David ROSENTHAL AN BB/11/9790 dossier n°3267X27]

David est arrivé en France le 11 novembre 1920 en provenance de Bucarest et réside successivement entre début 1921 et août 1924 au 53 rue de la Roquette (11ème arrondissement) chez Mme Veuve LEVY puis à partir d’août 1924 au 9 rue Philibert Lucot (13ème arrondissement) au moins jusqu’en 1929, date à laquelle il commence à constituer son dossier de naturalisation.

Il laisse en Roumanie sa mère Mina ZELIKOVITCH à qui il envoie de temps à autres des subsides et ses trois frères et quatre soeurs (Lifca épouse LEIBOVICI née en 1882 couturière à Podo-Turc, Berthe ou Betty épouse ROSAN née en 1887 ménagère à Gallatz puis épicière à Braïla, Bernard né en 1889 tailleur à Gallatz, Goldita épouse BAROZZI née en 1893 brodeuse à Bucarest, Elie né en 1895 coiffeur puis marchand forain à Focșani, Fany épouse GOLDENBERG née en 1896 ménagère à Bucarest et Haïm né en 1904, typographe puis coiffeur à Bucarest. En avril 1930, il est naturalisé français. Auparavant, en 1926, il avait effectué une demande d’admission à domicile, statut intermédiaire entre celui d’étranger et celui de citoyen français. Il est à cette époque représentant depuis 1922 de la mercerie Léon 23, rue des Francs Bourgeois (4ème arrondissement à Paris).

Papier à en-tête de la maison LEON [Dossier naturalisation David ROSENTHAL AN BB/11/9790 dossier n°3267X27]

Sa demande est ajournée au prétexte que David n’a pas « rendu service à la cause des Alliés » et dans l’attente de la survenance d’un enfant mais il est naturalisé français par décret du 12 juin 1930.

La date d’arrivée sur la presqu’île nous est inconnue et Marthe ROSENTHAL se fait recenser entre le 27 septembre et le 20 octobre 1940 à la mairie de Pornic sous le numéro 144. Elle habite alors Rue des Sables villa Ker Phi-Phi à Pornic. Sa mère, Dora LEISCHENER âgée de 68 ans, est également présente ainsi que son frère Lucien.

Extrait liste recensement 08 novembre 1940 [ADLA 1694W25]
Extrait liste recensement 08 novembre 1940 [ADLA 1694W25]

Villa Ker Phi-Phi, rue des Sables, Pornic © collection particulière

Marthe ROSENTHAL est également recensée sur le registre manuscrit et dactylographié de l’arrondissement de Nantes.

Déclaration des entreprises juives novembre 1940 [ADLA 1694W21]

Suite au recensement, marchande foraine en tissus, ne pouvant plus exercer son commerce sur les marchés, Marthe ROSENTHAL se trouve dans une situation catastrophique qu’elle expose au Préfet de Loire-Inférieure, demandant à se faire rayer de la liste de recensement.

Courrier de Marthe ROSENTHAL au Préfet de Loire-Inférieure, sans date [ADLA 1694W21]
Courrier de Marthe ROSENTHAL au Préfet de Loire-Inférieure, sans date [ADLA 1694W21]

En novembre 1941, Marthe ROSENTHAL réécrit au Préfet de Loire-Inférieure exposant sa situation. Suite au deuxième recensement des Juifs de juin 1941, et toujours dans l’espoir de se faire rayer des listes de recensement, elle a fait baptiser ses enfants en août 1941 ainsi qu’elle même par l’abbé Jean-Louis CORBINEAU, curé de Pornic.

Lettre de marthe ROSENTHAL au Préfet de Loire-Inférieure 18 novembre 1941 [ADLA 1694 W 21]
Lettre de Marthe ROSENTHAL au sous-préfet de Loire-Inférieure 18 novembre 1941 [ADLA 1694 W 21]

Certificats de baptême [ADLA 1694W21]

Bureau de bienfaisance Abbé Corbineau [Archives Municipales de Pornic, D2]
Bureau de bienfaisance Abbé Corbineau [Archives Municipales de Pornic, D2]

La réponse de la sous-préfecture de Saint-Nazaire d’une froideur absolue ne permet pas à Marthe ROSENTHAL d’obtenir ce qu’elle souhaite.

Lettre sous-préfecture/préfecture 18 décembre 1941 [ADLA 1694W21]
Lettre Sous-Préfecture/Préfecture 18 décembre 1941 [ADLA 1694W21]

Marthe ROSENTHAL récupère pour elle et ses deux enfants ses cartes d’alimentation auprès de la mairie de Pornic.

Marthe et ses deux enfants sont arrêtés les 15 ou 16 juillet 1942, transférés sur Nantes puis sur Angers.

La plus jeune, Sylvie, non déportable à ce moment-là en raison de son âge, est rayée de la liste du convoi numéro 8 et est transférée sans sa mère ni son frère au Camp de la Lande à Monts près de Tours où elle arrive le 20 juillet 1942 par le train de 15h31 arrivant d’Angers.

Arrivée Camp de La Lande [Archives Départementales Indre-et-Loire 120W18]

1300 lettres et cartes soit parce que censurées, soit parce qu’arrivées après le transfert des internés vers Drancy en particulier n’ont pas été distribuées à leurs destinataires et sont archivées au YIVO à New York. En toute logique, les services postaux français auraient du renvoyer les courriers. Ce ne fut pas le cas. L’ensemble des biens appartenant aux internés du camp de La Lande laissés en déshérence (dont certainement les lettres) sont transmis au service social de l’UGIF, pour en particulier, fournir le vestiaire des internés du camp de transit de Drancy. C’est à Isaac LEWENDEL que l’on doit l’explication de la raison pour laquelle ces lettres sont à New York : https://www.uncampdejuifsentouraine.com/le-long-voyage-des-lettres
C’est un historien Juif d’origine Polonaise, Szajko Friedman, Zosa Szajkowski[2] de son nom de plume, qui est au centre d’important transfert d’archives « privées » françaises aux Etats-Unis à la fin de la guerre. Etudiant à la Sorbonne dans les années 20, il trouve un refuge temporaire en France où il s’engage dans la Légion étrangère à la déclaration de guerre. Blessé le 15 juin 1940, il est évacué et se retrouve à l’hôpital de Carpentras.
Avide chercheur, sensibilisé par la montée du Nazisme, il découvre alors un certain nombre d’anciens documents juifs dans les communautés locales. Avec l’aide d’amis, il réussit aussi à faire passer des documents de Paris vers la zone libre. Avant son départ pour les Etats-Unis à la fin de 1940, il se débrouille pour transférer une partie de ces archives à New York. Il s’engage alors dans l’armée américaine en 1943 et revient en Europe avec les renseignements militaires.
En 1944, avec la permission de ses chefs, Szajko retourne à Marseille récemment libérée où il retrouve les documents qu’il avait cachés et obtient de l’armée américaine de les expédier aux États Unis. Il en fut de même avec les archives de l’Alliance Israélite Universelle et celles de l’UGIF à Paris. C’est parmi ces collections déposées à YIVO que se trouvaient les « lettres non-remises de La Lande ». Un bon nombre d’autres fonds d’origine française ont probablement, eux aussi, été « sauvés » par Zosa Szajkowski et ont, de ce fait, franchi l’Atlantique au cours de la reprise en main agitée de la France par le gouvernement provisoire du général de Gaulle.

Sylvie ROSENTHAL va recevoir une carte de son père :

Carte de Mr ROSENTHAL à Sylvie ROSENTHAL du 17 septembre 1942 [Carte n°212]

De Mr Rosenthal Rue du Château La Clayette Saône-et-Loire à Melle Sylvie Rosenthal Camp d’Internement de la Lande à Monts Indre et Loire [Carte écrite le 17 septembre 1942 et postée le même au bureau de poste de La Clayette]

Jeudi midi 17 septembre
Ma chère grande fille
Inutile te dire ma joie de recevoir de tes nouvelles surtout l’idée que bientôt tu seras avec mémé, après je m’en occuperai pour t’avoir avec moi, que ta santé est bonne et que tu as reçue le colis, aujourd’hui je t’en expédierai un autre colis avec des friandises. Quant à moi, je vais bien mieux avec ma santé, mais ce qui me tracasse, c’est de ne pas savoir où Gilbert et maman se trouvent actuellement. J’espère néanmoins que bientôt on aura de leurs nouvelles. N’attends pas mes cartes et écris-moi chaque fois que tu le peux car j’attends toujours avec impatience une carte de toi. Dans cette attente, je t’embrasse affectueusement.
Ton papa.

Transférée fin août ou début septembre 1942 à Drancy, elle est déportée par le convoi numéro 36 le 23 septembre 1942 de Drancy vers Auschwitz. Elle a été gazée à l’arrivée du convoi. Elle avait 12 ans.

Registre chronologique entrées/sorties Camp de la Lande [ADIL 120W18]
Registre chronologique entrées/sorties Camp de la Lande [ADIL 120W18]
Fiche d’internement de ROSENTHAL Sylvie [Drancy Enfant AN F9/5747]

Apprenant l’arrestation de la famille, Jean OSVALD, fourreur à Paris et qui tient un magasin contigu à celui des Rosenthal écrit une lettre à Louis Darquier de Pellepoix en août 1942, commissaire général aux Questions Juives se proposant de recueillir Sylvie internée au camp de La Lande, le couple OSVALD n’ayant pas d’enfants. La réponse de leur demande n’aboutira pas. [CDJC, XLII-32].

Dans le même temps, Jean OSVALD propose à l’UGIF de fournir pour le camp de la Lande un lot de jouets pour les enfants. L’UGIF se chargera de la récupération et de l’expédition des jouets au camp. [CDJC, CDXXIV-30]

Marthe et son fils ainé, Gilbert sont déportés par le convoi numéro 8 d’Angers vers Auschwitz le 20 juillet 1942.

Marthe est entrée dans la partie concentrationnaire d’Auschwitz à son arrivée le 23 juillet 1942. Elle décède le 10 septembre 1942. [Memorial Auschwitz Sterbücher]. Marthe avait 40 ans

Pour son fils, Gilbert, pas d’information sur son entrée à Auschwitz, il avait 14 ans.

Son frère Lucien, âgé de 33 ans, a été déporté par le convoi n° 01 au départ de Drancy par Compiègne vers Auschwitz le 27 mars 1942 et est décédé un mois après son arrivée le 14 avril 1942. Dora LEISCHENER, la mère de Marthe et Lucien, présente à Pornic en même temps que sa fille, n’a pas été déportée.

Liste convoi 8 et convoi 36 [CDJC, Mémorial de la Shoah, en ligne]

Les actes de décès seront retranscrits tardivement en 2014 pour Gilbert et Sylvie au Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre.

Un article de presse de 1945 relate les arrestations et déportations des Juifs de Pornic :

Avenir de l’Ouest 21 juin 1945 p.2 [ADLA, presse en ligne]

David sera dénaturalisé par la commission de révision des naturalisations dans la séance du 21 juin 1941 après-midi par décret du 11 novembre 1941 publié au JO du 17 novembre 1941 et notifié de la décision le 25 novembre 1941. Il n’est pas déporté.

Un commentaire sur “ROSENTHAL Marthe, Gilbert, Sylvie, [David] [144]

  1. trés content de lire cet article. cela fait 40 ans que je cherche ces cousins déportés. aprés la guerre un couvercle est tombé sur ces tristes pages de notre histoire familiale. on ne parlait jamais de cela. pour info marthe avait une soeur marguerite qui a été déporté avec ses 2 enfants et son mari.

    dora décéde en 1948.

    pierre

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