Jacqueline DAVID [Yad Vashem, en ligne]Jean-Claude DAVID [Yad Vashem, en ligne]
Jacqueline Marguerite (prénom usuel Jacqueline) DAVID est née le 07 octobre 1939 à Saint-Nazaire. [Père : DAVID Samuel né à Salonique le 15 avril 1907 de profession représentant de commerce et Mère : Rebecca dite Riba PALADINO née le 23 septembre 1910 à Salonique].
[DAVCC 21 P 441 058]
Jacqueline a par ailleurs un grand-frère : Jean-Claude né le 16 juillet 1936 à Paris (11ème arrondissement). Samuel et Riba s’étaient mariés le 18 octobre 1934 à Paris dans le 10ème arrondissement. La famille réside habituellement 1, rue Charles Delescluze dans le 11ème arrondissement à Paris et réside à partir de l’automne 1939 Villa Mina, allée des Tamaris à La Baule.
Actes de naissance [Archives Municipales de Saint-Nazaire et Archives Municipales de Paris]
Acte de mariage Samuel DAVID-Riba PALADINO [Archives de Paris,10M428]
Elle a été arrêtée avec son frère et sa mère à son domicile le 03 novembre 1943 par la Police Allemande au 20, Rue de la Fusterie, Perpignan (Pyrénées-Orientales), internée à Perpignan, transférée sur Drancy le 11 novembre 1943 puis déportée par le convoi numéro 62 du 20 novembre 1943 vers Auschwitz-Birkenau. Ils ont été assassinés à leur arrivée.
Fiches d’internement Drancy [AN, F9/5687 et F9/5743]
Liste convoi 62 [CDJC, Mémorial de la Shoah, en ligne]
Des feuilles de témoignage ont été déposées sur le site Yad Vashem en leur mémoire.
Feuille de témoignage [Yad Vashem, en ligne]
A l’automne 1944, Samuel dit Sam DAVID s’enquiert auprès du Ministère des Prisonniers et Déportés du sort de sa famille.
[DAVCC 21 P 441 058]
Il s’occupera après-guerre auprès du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre de la régularisation de l’Etat Civil de sa femme et de ses enfants.
Dossier d’étranger Rebecca dite Riba DAVID [ADLA 4M938]
La famille BERNHEIM tient l’hôtel de la Plage et du Golf sur la plage Benoît à La Baule depuis le 15 juin 1924.
Registre du Commerce Saint-Nazaire [ADLA 22U147]
Six mois plus tard, il va également être propriétaire d’un salon de thé, dégustation, patisseries, vins fins et liqueurs : le « Pavillon Royal » à l’Hôtel Royal avenue de Verneuil.
Registre du Commerce Saint-Nazaire [ADLA 22U147]
La famille est originaire de Chalon-sur-Saône et Roger exerçait la profession de gérant de grand magasin à Chalon-sur-Saône avant de reprendre l’hôtel. Celui-ci ouvre à la belle saison pour refermer à la mi-septembre au moment de la rentrée des classes. La famille vit donc pour moitié à La Baule dans la villa qu’elle avait fait édifier en 1932 sur le terrain de l’hôtel et pour l’autre moitié en Bourgogne au 57, rue Gloriette à Chalon.
Roger BERNHEIM est né à Chalon-sur-Saône le 03 janvier 1884 et est marié avec Sarah Germaine BRUNSCHWIG (prénom usuel Germaine) depuis le 19 décembre 1911. Elle était née le 02 février 1892 à Lyon (2ème arrondissement). Le couple va avoir 4 enfants : Jacqueline, l’ainée, née le 11 juin 1913 à Chalon-sur-Saône, Huguette née le 11 juin 1920, Nicole née le 08 septembre 1926 et le petit dernier Claude né le 30 juin 1930 à La Baule.
Roger va être mobilisé pendant la guerre de 1914-1918. Il s’engage volontairement à Paris pour une durée de trois ans le 08 septembre 1904 pour le 102ème Régiment d’Infanterie puis au 104ème Régiment d’Infanterie où il passe le certificat d’aptitude de Chef de Section. Il effectue différentes périodes d’exercice dans la réserve jusqu’à sa mobilisation le 04 août 1914. Il est blessé le 24 août 1914 « contusion violente par éclat d’obus, paralysie de la jambe », blessure qui le fera souffrir toute sa vie et passe sous-lieutenant le 24 novembre 1914. Il est affecté au service des Prisonniers de Guerre dans la 8ème Région Militaire en août 1916 puis détaché à la Compagnie de Réception des Cartouches pour Armes Portatives à Bourges en 1919 puis affecté au 59ème Régiment d’Infanterie Territoriale. La Médaille Militaire lui sera accordée par décret du 26 mars 1937 (JO du 01 avril 1937).
Registre Matricule Roger BERNHEIM [Archives de Paris, D4R1_1266]
Entretien entre Nicole BERNHEIM et Olivier GUIVARC’H le mercredi 30 décembre 2015 :
Mon
père faisait partie de ces familles alsaciennes dont beaucoup étaient
tout à fait laïcs, ils n’ont jamais renié leur judéité mais ils ne
pratiquaient rien du tout. J’ai été élevée dans le bleu total , je ne
connais rien à tout ça et ses deux parents étaient originaires d’Alsace.
Ils sont venus à l’intérieur des terres au moment de l’annexion de
l’Alsace par l’Allemagne après la guerre de 1870. Ils se sont toujours
considérés comme des français, encore plus d’ailleurs. Mais ils ne
pratiquaient rien du tout. On ne l’a pas renié, quand on circulait on
voyait bien qu’on ne vivait pas tout à fait comme les autres. Je
n’allais pas à la messe, etc, etc, je ne faisais pas ma première
communion, les petites filles, elles se rendent compte de ça. Voilà, ça
ne m’a jamais gêné.
Et votre père qui est né à Chalon sur Saône, quelle profession exerçait-il ?
Il avait fait HEC et comme les familles juives ne se mélangeaient pas avec les non-juifs à l’époque, ça a bien changé depuis… Ma mère était originaire de Lyon, elle est née BRUNSCHWIG en 1892. Mais elle est issue d’une famille très très fauchée alors que la famille de mon père était plutôt bien lotie. Alors on les a présentés comme ça se faisait parce qu’il n’y avait pas tellement de juifs à se caser et ma mère était très très belle et mon père est tombé amoureux fou. Alors elle a eu un drame épouvantable dans sa jeunesse : elle avait un frère, un frère unique que mon père aimait beaucoup d’ailleurs, ils se connaissaient. Alors il y a eu un drame affreux, l’été 14, le régiment de Lyon et le régiment de Chalon-sur-Saône se sont tirés dessus et mon oncle a complètement disparu. On a rien, rien retrouvé de lui. Mon père a été blessé, assez gravement déjà, parce qu’il y est retourné [au combat], on était très patriote. Il s’appelait Jean BRUNSCHWIG.
Les deux beaux-frères s’appréciaient beaucoup et la disparition de mon oncle a été un grand grand choc pour mon père. Ça
a été quelque chose de terrible, surtout ne pas retrouver les gens
comme ça, rien. Alors, j’ai retrouvé dans les archives de la famille que
j’ai un peu épluchées, il y avait la lettre d’un officier qui disait
qu’il avait vu le sergent Jean BRUNSCHWIG touché en plein coeur, enfin
frappé en pleine poitrine en tous les cas, mais on a rien retrouvé de
lui, c’est terrible. C’était août 1914, il y avait des pluies d’obus…
C’était un type très charmant parait-il et qui rêvait de faire du théâtre. Je ne sais pas où il avait trouvé ça dans la famille, ça ne se faisait pas, mais alors pas du tout mais il rêvait de ça, d’une carrière future. Je ne sais pas s’il l’aurait fait de toute façon. Et d’après les photos, c’était un très très charmant garçon. Ma mère était très belle aussi. Enfin bref…
Donc Germaine et Roger se marient ?
Oui
et ils s’installent à Chalon-sur-Saône. Alors ils se sont mariés en 12
[1912, en fait en décembre 1911] et arrive la guerre. Ils avaient déjà
un enfant, ma soeur Jacqueline, Jacqueline GERSCHEL. Les GERSCHEL
étaient aussi de Chalon-sur Saône. Enfin, vous savez, tout ça était très
limité, les familles juives à l’époque, ça se mélangeait pas du tout.
Elle est née en 1913, comme ça se faisait à l’époque [rires][NDLR :
juste après le mariage donc], elle est née le 11 juin 1913. Je m’en
souviens très bien, parce qu’il y avait un gag dans la famille.
Alors
il y a eu une petite soeur qui n’a pas vécu, qui est née mais qui est
morte tout de suite. Elle est née pendant la guerre, tous les médecins
convenables étaient au front. Alors j’ai jamais su parce qu’on en
parlait pas. Je crois qu’elle n’a pas vécu. Elle était morte-née ou
quelque chose comme ça. Bon ça a dû être quand même un drame.
Et alors le 11 juin 1920 est née ma deuxième soeur Huguette. On racontait dans la famille mais je ne sais pas si c’est vrai, qu’elle était peut-être née le 10 mais pour que tout le monde s’en souvienne on avait mis le 11. Elle s’est mariée comme ça se faisait à l’époque… il y avait la période de la guerre, j’y reviendrai bien sûr [1939]. Après on a hésité très longtemps à partir de Chalon-sur-Saône parce que mon père était de la vielle école : « On ne fuit pas devant l’ennemi » disait-il. On s’est retrouvé à Mâcon et ma soeur Huguette a rencontré à la pension où on était, c’était des pensions où il y avait toute sorte de gens bizarres parce qu’on se réfugiait là où on pouvait. Et là, elle a rencontré un certain Roland MARTIN qu’était un français moyen, pas très joli de sa personne. Enfin, il a été extrêmement gentil avec nous, il nous a aidé à avoir des faux-papiers beaucoup plus tard. Il est tombé amoureux fou de ma soeur. Il ne se passait certainement rien parce qu’à l’époque, ça ne se faisait pas du tout. Bon alors ce Roland MARTIN, bon après il y a eu des tas d’histoires…
Et vous en quelle année êtes-vous née ?
Je
suis née en 26, le 08 septembre 1926. Mon père a Chalon sur Saône était
gérant d’un grand magasin comme les Nouvelles Galeries, il avait fait
HEC. Et à Bourges, il rencontre un certain Monsieur Gomy, qui était
hôtelier à La Baule et qui lui a a vanté les charmes de la station et
que c’était une station balnéaire en pleine expansion. Alors il a acheté
l’Hôtel de la Plage et du Golf en 1924. L’hôtel était ouvert de Pâques
jusqu’au 15 septembre. La rentrée scolaire était à l’époque le premier
octobre et on rentrait à Chalon pour l’hiver.
Bon
la guerre arrive, on pensait qu’on allait gagner tout de suite. Enfin
non, il savait que ce serait dur parce qu’il avait déjà fait 14 et que
ça n’avait pas été tellement facile. Et donc l’hôtel a fermé évidemment
et il a été réquisitionné par une école, l’école Octave-Gréard.
[L’hôtel sera réquisitionné quatre fois : d’abord par l’armée anglaise en 1939 car il y avait un gros contingent de l’armée anglaise basée à Saint-Nazaire, puis au moment de l’exode de mai 1940 par l’école primaire supérieure Octave-Gréard Paris, 8ème arrondissement [du 15 octobre 1939 au 15 juillet 1940], puis par l’armée allemande de 1940 à 1944 puis à la libération par les Américains puis les Français en 1945.
Dossier réquisitions Hôtel de la Plage et du Golfe [AMLB]
C’était une école de Paris, l’école Octave-Gréard, enfin c’était pas un lycée. Autrement il y avait les Anglais, il y avait une très très grosse garnison, ils étaient installés à l’ Hermitage [Hôtel Hermitage, La Baule] et quand on s’est fait battre à plat de couture, ils sont revenus se faire soigner ici et il y a eu un drame affreux, on les a embarqués sur un bateau qui a été coulé par l’aviation allemande [Le Lancastria]. Alors on a retrouvé des corps, à chaque grande marée, on se farcissait ça, c’était affreux. Alors ma soeur ainée, comme on avait eu, comme ça se faisait à l’époque, une gouvernante anglaise, parlait très très bien anglais. Et alors elle se sentait titulaire de cette histoire, elle en parlait toujours avec horreur et puis bon on s’est fait battre à plat de couture et à ce moment-là, on décide de rentrer à Chalon-sur-Saône. Et à Chalon-sur-Saône, mes parents n’avaient pas beaucoup d’amis finalement parce que les juifs restaient très entre eux et qu’on était snobé par beaucoup de gens mais il y avait le commissaire de police, Monsieur BERTILLET. Et quand on est arrivé de La Baule, il est venu trouvé mon père le premier jour. C’était des amis de toute façon, on fréquentait souvent les Bertillet qui étaient des gens très charmants. Et il dit : « J’ espère que vous n’allez pas rester là Monsieur Bernheim, vous devriez partir en Algérie ». C’était très facile. Mon père lui répond : « On ne fuit pas devant l’ennemi ». Donc on est resté, comme des idiots, et on a vraiment failli y passer.«
La famille quitte La Baule en septembre 1939 pour Chalon-sur-Saône ». Entre le 27 septembre et le 20 octobre 1940, les Juifs doivent se faire recenser auprès des commissariats, sous-préfectures ou préfectures. Roger se fait recenser à cette date à la sous-préfecture de Chalon. Ses comptes bancaires sont bloqués et le Commissariat Général aux Questions Juives va tenter d’aryaniser l’hôtel. Il nomme en février 1942 par l’intermédiaire du Préfet de Loire-Inférieure un administrateur provisoire Gabriel HERVOUËT, arbitre de commerce à Saint-Nazaire (puis qui déménage chez son frère suite aux bombardements de Saint-Nazaire, lui-même administrateur provisoire à Nantes) pour à la fois vendre l’hôtel et récupérer les indemnités de réquisitions.
Dossier d’aryanisation de l’Hôtel de la Plage et du Golf [Archives Nationales, AJ38/4600 dossier n°8725]
Le Préfet donne son autorisation pour que Gabriel HERVOUËT effectue tout prélèvement sur le compte bancaire de Roger BERNHEIM le 12 juin 1942.
Dossier d’aryanisation de l’Hôtel de la Plage et du Golf [Archives Nationales, AJ38/4600 dossier n°8725]
Monsieur CHANEY, architecte à Saint-Nazaire, va expertiser l’hôtel et dresser les plans des différents bâtiments.
Par ailleurs, les autorités allemandes ou françaises reçoivent des « informations » via des courriers en général anonymes. C’est le cas en avril 1942 pour l’Hôtel de la Plage et du Golf où Monsieur BERNHEIM est « soupçonné d’avoir constituer des stocks de fourrures et tabacs…« . Faut-il rappeler que Monsieur BERNHEIM a déjà quitté La Baule depuis quasiment deux ans….
Courriers Préfecture et Sous-Préfecture 08 et 14 avril 1942 [ADLA 1694W21)]
Pendant ce temps-là, la famille qui réside à Chalon-sur-Saône va quitter la région pour passer la ligne de démarcation après que Roger BERNHEIM victime d’une rafle ait été incarcéré puis relâché.
Suite de l’entretien entre Nicole BERNHEIM et Olivier GUIVARC’H le mercredi 30 décembre 2015 :
Alors
la première chose qui est arrivée, les Allemands sont arrivés.
Evidemment, il y a eu un attentat contre leur caserne et évidemment, ils
ont ramassé des otages parmi lesquels les deux ou trois seuls vieux
juifs qui restaient parce que mon beau-frère [Roger GERSCHEL] lui, il
était déjà parti en zone libre. Donc mon père a été encabanné avec un
pauvre Monsieur MOCQ, les MOCQ c’était des gens qui avaient une très
jolie boutique de fringues, on était client d’ailleurs. Mais c’était des
gens à l’ancienne : ils étaient très très vilains [physiquement], le
père et la mère mais ils avaient un fils très brillant qui a fait une
brillante carrière par la suite d’ailleurs, en sortant de ce milieu-là
et en faisant un brillant mariage. Donc ils ont raflé monsieur Bernheim,
Monsieur Mocq et puis tout ce que la ville comptait de gens un tout
petit peu à gauche, des syndicalistes, des gens comme ça et donc mon
père s’est retrouvé en prison. Ils étaient 20, 20 dans la même cellule
pratiquement. Alors mon père, ancien officier n’est-ce pas, a remonté le
moral des troupes en disant : « Ils ne nous auront pas, ils ne pourront
pas, ils ne devraient pas… ». On a eu beaucoup beaucoup de chance parce
qu’il y a eu un capitaine de gendarmerie bien courageux à l’époque qui
est allé trouver les autorités allemandes en leur disant : « Vous savez,
si vous rêvez d’une politique de collaboration avec les Français, il ne
faut pas procéder comme cela. Dans tous les cas, vous devriez déjà
relâcher les plus vieux. ». Donc mon père a été relâché, un vrai miracle,
avec Monsieur Mocq. Mon père est sorti dans un état épouvantable. Il a
été interné un mois en 41. Il était épuisé, il avait passé un mois à
remonter le moral de ces petits jeunes qui ne tenaient pas le coup, qui
voulaient se suicider, etc… et il avait perdu je ne sais combien de
kilos et surtout son monde s’était effondré. Bon il était juif mais il
avait complètement oublié. Et tout d’un coup, ça lui revient en pleine
figure. Et donc le commissaire de police vient nous trouver et nous dit :
« Ne restez pas là, ça va devenir très dangereux, vous devriez partir en
Algérie ».
Bon alors on est parti mais pas pour l’Algérie. On est parti en petits morceaux de la famille, ça s’est passé en plusieurs épisodes, on a passé la ligne, la ligne de démarcation pour passer en zone libre. Alors, moi je suis passée avec ma soeur, on est passé à bicyclette, j’ avais 14/15 ans, ma soeur avait 6 ans de plus que moi et on part à bicyclette. Et évidemment on tombe sur des copains, des connaissances parce que ma soeur adorait sortir, elle avait des tas de copains, c’était une jolie fille, elle avait beaucoup de succès, bon il se passait rien parce qu’il ne se passait jamais rien [rires] mais on tombe donc sur des copains à elle qui disent : « Ah mais vous avez raison, il fait un temps magnifique, vous allez où comme ça ? « . Alors je sais plus ce qu’on leur a raconté, on leur a raconté des cracks évidemment parce qu’on devait passer la ligne à un endroit très précis, il y avait une auberge à Chaudvors [?], une auberge qui était tenue par une femme très très bien qui nous aidait à passer la ligne. Je ne sais pas ce qui lui est arrivée par la suite mais enfin, elle a fait de la Résistance. Donc on devait passer la ligne là, je l’ai passée avec ma soeur, de nuit, on a passé la Saône sous la lune…
Comment avez-vous été au courant pour le passage de la ligne ?
Ah
ben ça, c’était mon beau-frère [Roger Gerschel] qui était déjà parti
lui et qui nous a envoyé un copain à lui qui s’occupait de ça, qui était
un bon catholique et qui s’occupait de faire passer les gens. Bon
moyennant finances, ça se payait. Bon mais on avait encore des sous. Ça n’a pas duré d’ailleurs. [rires].
Mon
petit frère Claude est passé avec ma grand-mère dans une voiture de
gens qui étaient au courant de tout ça. Ma grand-mère était déjà un peu
gâteuse et mon petit frère n’a rien dit parce qu’il avait une dizaine
d’années et qu’il n’avait pas droit à la parole.
Ah et puis il y avait mon père et ma mère. Oh ben ça, c’était la grande époque, ils sont passés en bateau, en pleine nuit, de pleine lune, la Saône. Mon père non, mais ma mère, elle était très très fière et elle m’a dit : « Tu sais, j’ai vraiment pas eu peur… ». Alors on s’est retrouvé de l’autre côté de la Saône et on a passé un été délicieux. C’était en 41. Ça s’appelait le manoir de la Croix Madeleine.
Alors ça, c’est une vraie épopée aussi. c’était une grande propriété familiale, on était client et c’était un endroit insensé qui était tenu par une femme très très bien qui a d’ailleurs eu une attitude exemplaire pendant toute la guerre, qui était une veuve, très catholique… Elle avait en principe du personnel pour faire le ménage mais ça, fallait pas regarder de très près, ça rendait ma mère folle. Et c’était un très très bel endroit. Il s’y passait d’ailleurs des choses très bizarres parce que c’était tout près de la ligne de démarcation et ce n’était pas loin de cette région montagneuse qui s’appelle… [les Monts du Mâconnais] et il y avait déjà des trafics. Il y avait déjà des gens assez bizarres qui passaient et visiblement il y avait déjà des gens qui s’organisaient pour monter une résistance, c’est devenu un endroit de résistance par la suite. Donc on a passé tout l’été là. C’était délicieux, on allait se baigner dans la Saône parce que la Saône était propre. J’en garde un très très bon souvenir. Et puis l’hiver suivant, on a été s’installer à Mâcon. C’était un endroit effroyable, parce qu’il n’y avait pas de places pour se loger. Je suis allée au lycée de Mâcon et on est resté jusqu’en 43. On avait des vieux amis des parents qui habitaient en Savoie et la Savoie était occupée par les Italiens. Bizarrement, le téléphone marchait très bien pendant tout ce temps-là. On a téléphoné aux FLORZHEIM qui nous ont dit : « Venez par chez nous, on essayera de trouver de quoi vous loger mais on est vraiment très tranquille avec les Italiens ». On est donc parti s’installer en Savoie. J’ai passé mon premier Bac, sans oral, en juin 1943 et on est arrivé en Savoie qu’on a trouvé merveilleux. Je ne connaissais pas du tout. On a habité près du lac du Bourget, pas très loin d’Aix-les-Bains. C’était très agréable, on oubliait carrément qu’il y avait la guerre et puis elle s’est rappelée très vite à notre souvenir quand même. Les amis nous avaient trouvés à louer une petite maison, pas loin du lac, avec deux chambres, un petit salon, une cuisine, il n’y avait pas de salle de bains. On allait se laver dehors, il y avait un espèce de grand lavoir…
On avait en face de nous des gens épouvantables mais auxquels on allait acheter les provisions, il y avait de tout à l’époque à cet endroit-là. Les hommes n’étaient pas là, je ne sais pas où ils étaient, mais il y avait une bonne femme, d’une grossièreté, d’une vulgarité qui fait qu’il est arrivé ce qui devait arrivé. Quand la zone libre a été occupée, il y a une grosse garnison allemande qui s’est installée à Aix-les-Bains, on était tout près. Et un dimanche soir, il y a deux gros allemands qui étaient en ballade mais nous on ne savait pas qu’ils étaient en ballade qui débarquent chez nous et qui disent à mon père: » Juif, n’est-ce pas ? « . Alors mon père, on n’avait pas de faux-papiers à l’époque, dit : « Oui ». Mon père parlait très bien allemand, il l’ avait appris dans sa folle jeunesse. Il fait la discussion avec eux. C’était deux vieux types et puis tout d’un coup, je le vois devenir tout blanc et il dit : « Ça, c’est pas possible « . Les deux types demandaient en fait à aller se promener dans les bois avec les deux filles. Bon, on discute le bout de gras comme ça et puis finalement il ne se passe rien. Mais on a eu très très peur tout de même. Alors, on avait une très bonne relation dans le coin avec le directeur de l’école du petit patelin au-dessus qui nous avait toujours dit : « Si un jour vous avez des problèmes, venez m’en parler, on se débrouillera, je vous trouverai un endroit pour vous planquer, on fera des faux-papiers etc… ». Donc ces deux vieux gros types [rires] s’en vont. Toute la nuit, je m’en souviens comme si c’était hier, toute la nuit on a attendu la voiture qui viendrait nous ramasser. Et puis le matin, on était toujours là. Alors, à ce moment là, ma soeur Huguette a téléphoné tout de suite à son fiancé, lui a expliqué ce qui s’était passé et Roland, Roland MARTIN luit dit : « Ecoutes, je vais venir vous voir, il faut qu’on s’organise, vous n’allez pas rester comme ça, c’est trop dangereux. »
Et Roland MARTIN se trouvait où à ce moment-là ?
Il était à Paris. Je ne sais pas ce qu’il faisait. C’est un type que je n’ai pas connu mais il avait un père tout à fait remarquable, qui s’était fait tout seul et qui avait une grosse situation à la Société Générale. Donc, ils avaient des relations. Mon beau frère avait fini par être arrêté avec son frère : c’était deux grands costauds. Les Allemands les avaient utilisées pour déménager les appartements qu’ils pillaient. C’était à Paris. Et puis le camp était à Drancy. Et puis un jour, mon beau-frère avait 25 ans ou 26 ans, il avait lu beaucoup d’Arsène Lupin [rires], ils décident avec son frère qu’ils ne vont pas rester là, ils vont creuser un tunnel.
Fiches d’internement du camp de Drancy de Roger et Georges GERSCHEL [Archives Nationales, F9/5694]
Le 22 août 1943, Roger et Georges Gerschel, sont arrêtés à Davayé (71) sur la dénonciation de Monsieur MENETRIER par la « Gestapo » pour le motif d’organisation d’un dépôt d’armes [pour le compte du MLN (Mouvement de Libération National)], internés à la Kommandantur de Maçon puis le même jour dirigés vers Lyon et emprisonnés à Montluc du 22 août au 12 septembre 1943 puis le 14 septembre 1943, ils sont transférés à Drancy.
Les frères Gerschel participent au creusement du «tunnel de Drancy» qui devait permettre le maximum d’évasions.
Roger GESCHEL 1944 [DAVCC 21 P 614 335]
Le 8 novembre 1943, le tunnel de plus de 35 mètres est découvert. Les prisonniers étaient à moins de 2 mètres de la liberté !
Quatorze prisonniers sont impliqués dans la tentative d’évasion. Ils sont torturés. Georges reçoit une balle dans la jambe. Le 20 novembre 1943 vers 18h30, ces prisonniers sont miraculeusement enfermés dans le même wagon à bestiaux du convoi 62. Dans le ralentissement de la côte de Lérouville, à la tombée de la nuit, ces «diables de Gerschel » dans un dernier effort parviennent à desceller les barreaux de la lucarne du wagon.
Roger saute le premier, suivi par son frère entre Bar-le-Duc et Longeville-en-Barrois . Dix neuf prisonniers parviennent à s’échapper en sautant les uns après les autres du train.
Roger, après avoir vainement cherché son frère, est épuisé.par sa course pour échapper aux Allemands puis aux gardes français. Il aperçoit une silhouette à bicyclette. Lucien Bernard, ébéniste, retraité SNCF, qui comprend vite la situation. Il transporte Roger, sur le cadre de son ‘vélo’, jusqu’à son domicile à Longeville-en Barrois.
[DAVCC 21 P 614 335]
René
Bernard, son épouse Fernande, et sa mère Louise accueillent Roger sans
se poser de question, comme un membre de la famille. Un Allemand occupe
le rez-de-chaussée de la maison qui heureusement a deux entrées.
René
Bernard, avec l’aide de son frère cheminot, et de la Résistance,
fournit de faux papiers au nom de René Lepron. Roger, au bout de 4 jours
part à Paris. Sa famille le rejoint. Pour leur sécurité, les enfants
sont envoyés avec leur fidèle nounou Marie à Perreuil (71).
Roger reste en contact, après la guerre, avec ses bienfaiteurs.
Vers
la mi-septembre 1943, des internés, membres du service d’ordre juif du
camp qui possèdent les clés des caves, décident de creuser un tunnel
destiné à l’évasion d’un grand nombre de Juifs.
Claude Aron, René et Georges Geissmann, Maurice Kalifat, Roger Schandalow, Abraham Stern et André Ullmo assurent la coordination des opérations.
Lorsqu’il
est découvert le 09/11/1943 par les S.D. des S.S., le tunnel mesurait
38,50 mètres de long et devait aboutir 1,50 m plus loin.
Les
Allemands trouvent sur place le vêtement de travail d’Henri Schwartz.
Il est torturé et livre 13 noms. Ces 14 internés reçurent l’ordre de
murer l’entrée du tunnel. Laissés seuls dans la cave, certains
estimèrent que l’occasion leur était offerte de s’évader; d’autres
pensaient qu’il n’était pas question de s’évader sans les autres. Ils
votèrent. Les seconds l’emportèrent. L’entrée fut murée.1
Ils
furent déportés vers Auschwitz le 20/11/1943 par le convoi n° 62. On
leur avait dit que le train passait par Bar-le-Duc et qu’il ralentissait
dans la côte de Lérouville. 19 déportés (dont 12 faisaient partie de ceux qui avaient creusé le tunnel) sautèrent du train en marche dans la côte de Lérouville (Meuse) après avoir arraché les lucarnes d’aération du 6e wagon. Ils tentèrent alors de rejoindre la Résistance.
L’équipe du tunnel de Drancy :
Claude Aron
(Claude, Marcel, Didier Aron Samuel) dit « Samuel », né le 21/06/1911 à
Paris 16e, pharmacien, licencié en sciences et en droit, habitait 4 rue
Ampère dans le 17e arrondissement avec son épouse Hélène née Caïn. Il
s’est engagé en 1939, en tant que capitaine d’artillerie. Il est arrêté
parce que juif à Montpellier en février 1943. A Drancy, il est
responsable de la pharmacie. Initiateur du tunnel, évadé du 62e convoi.
Il parvient à passer en zone sud et rejoint le maquis. Il est repris à
Lyon et torturé à l’hôtel Terminus. Il avoue s’être évadé du train de
déportation afin de ne pas mettre en cause le maquis. Ramené à Drancy,
il est déporté sans retour à Auschwitz par le convoi n° 71.
Robert Bloch (dit Robert Manuel), 26 ans, acteur de la Comédie Française. Évadé.
Robert
Blum, commandant de la résistance au sein du mouvement Combat, arrêté
en janvier 1943 avec son beau-frère Samuel Paul Zigmant et internés à
Compiègne puis à Drancy. Commandant du camp de Drancy. Déporté sans
retour.
Georges Bodenheimer. Déporté sans retour.
Pocicelsky dit Jacques Boris. Évadé.
Serge
Bouder, 22 ans, ouvrier aux Aciéries du Nord et champion de
volley-ball, raflé en septembre 1943 à Nice par Aloïs Brunner. Évadé.
Jean Cahen-Salvador, conseiller d’État. Évadé.
Élie Cario, originaire de Béziers. Corps franc du Capitaine Neuville.
Robert Dreyfus, MS au camp de Drancy. Déporté sans retour
René Geissman, né à Belfort, réside au Maroc et rentre en France où il devient directeur d’une conserverie de sardines. Évadé.
Georges Gerschel,
39 ans, ancien rugbyman, responsable d’une entreprise de cartonnage à
Lille, arrêté par les Allemands près de Mâcon avec son frère Roger Gerschel et transférés de Lyon à Drancy en août 1943. Évadé.
Roger Gerschel,
32 ans, ancien rugbyman, propriétaire d’un magasin de vêtements à
Chalon-sur-Saône, est arrêté par les Allemands avec son frère Georges Gerschel près de Mâcon et transférés de Lyon à Drancy en août 1943. Évadé.
Eugène
Handschuh, émigré de Hongrie en 1930, il habite à Paris. Résistant
communiste, il est arrêté en décembre 1942 avec ses deux frères, Louis
et Oscar. Évadé.
Louis
Handschuh, émigré de Hongrie en 1930, il habite à Paris. Résistant
communiste, il est arrêté en décembre 1942 avec ses deux frères, Eugène
et Oscar. Évadé.
Oscar
Handschuh, tailleur à Budapest, émigré de Hongrie en 1930, il habite à
Paris rue Chapon. Résistant communiste, il est arrêté en décembre 1942
avec ses deux frères, Louis et Eugène, et trouve un emploi de tailleur
au camp de Drancy, tandis que ses enfants travaillent aux cuisines.
Évadé.
Maurice
Kalifat, artisan plombier à Paris. Au camp de Drancy il est chargé du
service des étuves. Il se charge des branchements électrique du tunnel.
Évadé.
Henri
Schwartz, 41 ans, propriétaire d’un magasin de meubles à la Bastille.
Chef des corvées au camp, chargé depuis l’été des travaux au sol. Il
établi le tracé du tunnel. Déporté revenu.
Robert Antoine Schwob, professeur de médecine. Évadé.
Abraham Stern
Raymond Trèves,
conjoint d’une « aryenne », réfugié du Nord de la France, est vendeur de
textile à Lyon au moment de son arrestation par la Gestapo en mars 1943.
Cousin de Bernard Dreyfus. MS au camp de Drancy. Evadé, il trouve refuge à Genouillac où il sera hébergé quelque temps par Cécile* et Jean Audoin*. Jean Audoin* lui fournira de faux papiers et l’emmènera ensuite en zone sud.
André Ullmo, avocat à la Cour, initiateur du tunnel. Il est arrêté parce que juif à Montpellier en février 1943. Évadé.
Stanislas Vadasz. Déporté sans retour
Jean Varon. Évadé.
Raymond Walch. Agent immobilier à Lyon.
Docteur Marc Adrien Weill-Warlin, ancien interne des hôpitaux de Paris, chef de clinique, assistant des hôpitaux. Évadé.
Raymond Weille, médecin. Évadé.
Samuel-Paul
Zigmant, fils d’émigrés russes, son père est importateur de fruits de
mer au Havre. Beau-frère de Robert Blum, résistant au sein du mouvement
Combat, arrêté en janvier 1943 et internés à Compiègne puis à Drancy.
Zigmant est brancardier au camp de Drancy. Il ne s’évadera pas.
Tunnel de résistance : Les survivants de la tentative d’évasion de Drancy témoignent
L’arrêté
de classement de la Cité de la Muette à Drancy, signé par la ministre
de la Culture le 25 mai, parle « d’un tunnel creusé par des internés ». La
presse a évoqué ce tunnel sans pour autant donner le nom de ceux qui
l’ont fait. Nous sommes à l’heure actuelle neuf survivants (Serge
Bouder, Eugène Handschuh, Louis Handschuh, Jean Oppenheimer, Claude
Rain, Roger Schandalow, Michel Sciama, André Ullmo, Samuel-Paul Zigmant)
sur la quarantaine d’hommes qui se sont relayés nuit et jour pour
creuser le sous-sol du camp de Drancy. Qui peut, mieux que nous, dire
pourquoi nous avons conduit cette entreprise? D’origine française,
hongroise, ou russe; étudiant, artisan, haut fonctionnaire ou artiste,
ces hommes méritent mieux que le silence, l’indifférence ou la suspicion
d’aujourd’hui.
Le
projet consistait à creuser un tunnel, non pour quelques-uns (ce qui
eut été plus facile et plus rapide), mais pour permettre l’évasion de
tous les internés décidés à s’évader. Le projet était insensé, mais la
raison avait-elle sa place dans ce camp ?
Les
premiers travaux furent entamés vers le 15 septembre 1943. L’équipe de
base qui décida de l’entreprise était composée de Maurice Kalifat, René
et Georges Geissmann, Roger Schandalow, Abraham Stern, ainsi que Claude
Aron et moi-même qui assurions la codirection des opérations. Dans les
jours qui suivirent, et au fur et à mesure des nécessités (évacuer la
terre, boiser le tunnel, tasser la terre dans les caves), notre équipe
devint de plus en plus importante.
Comment
rappeler les noms de ceux qui, comme Juda Bacicurinsky et ses
camarades, sachant qu’ils partiraient quelques jours plus tard,
acceptaient de descendre travailler à l’œuvre de libération dont ils ne
profiteraient pas ?
Il
est difficile en peu de lignes de décrire les efforts et les
précautions afin de trouver le matériel nécessaire pour creuser une
galerie haute de 1 m 30 et large de 0,80 m, éclairée à l’électricité et
entièrement boisée, travailler au fond pour percer, transporter la
terre, supporter la chaleur, le manque d’air.
Chaque
jour ou presque, il fallait monter sur les toits, sous des prétextes
divers, pour vérifier, à l’aide d’un compas de fortune, la direction de
l’axe du tunnel. L’impatience était grande et il était difficile de
faire admettre qu’on n’avait pas le droit de percer en surface aussitôt
après le passage sous les barbelés.
Nous
ne savions pas que l’arrivée à Auschwitz impliquait la mort pour 99 %
des déportés. Nous étions préoccupés par les soucis du travail de tous
les jours. Le temps jouait contre nous, nous étions à la merci du plus
petit incident. Les SS s’entraînaient au tir dans les caves. Il pouvait y
avoir des mouchards dans le camp. Nos craintes de ne pouvoir aboutir
furent bien plus fortes lorsque deux internés arrivèrent inopinément à
Drancy. Ils manifestèrent aussitôt un très grand intérêt pour les caves.
On décida d’arrêter de creuser, puis de les «mettre dans le bain». Ils
s’intégrèrent à l’équipe. Le tunnel avait alors plus de 35 mètres. Une
semaine s’étant passée sans alarme, le travail reprit. Il ne restait que
1,30 m ou 1,40 m, une journée d’effort environ à quatre équipes,
lorsque le signal d’alarme fut donné: les Allemands se préparaient à
inspecter les caves. Ils commencèrent par l’autre extrémité du bâtiment.
Les camarades du fond, alertés par des signaux lumineux, cessèrent le
travail. La cheminée d’accès fut camouflée, mais comment dissimuler les
masses de terre extraites du tunnel, répandues chaque jour sur le sol et
tassées sous les pieds? Les SS mirent toutefois un certain temps à
découvrir l’entrée du tunnel.
Un
vêtement oublié avec un numéro de matricule trahit un membre de
l’équipe, qui fut torturé. Il donna treize noms. Ces quatorze internés
reçurent l’ordre de murer l’entrée du tunnel. Laissés seuls dans la
cave, certains estimèrent que l’occasion leur était offerte de s’évader;
d’autres pensaient qu’il n’était pas question de s’évader sans les
autres. Ils votèrent. Les seconds l’emportèrent. L’entrée fut murée.
Nos
quatorze camarades devaient partir par le convoi n° 62 du 20 novembre
1943, dix jours après la découverte du tunnel par les SS. Alors qu’ils
attendaient, après la fouille, le départ pour Auschwitz, des internés
chargés de distribuer la soupe leur firent passer des outils.
On
leur avait dit que le train passait par Bar-le-Duc et qu’il
ralentissait dans la côte de Lérouville. Les outils se révélèrent peu
efficaces. Les deux frères, Roger et Georges Gerschel,
voyant qu’ils n’arrivaient à rien, arrachèrent les barreaux de la
fenêtre avec leurs mains et sautèrent. Les autres suivirent. Claude
Aron, avec qui j’avais été arrêté en février 1943 à Montpellier, était
parmi eux. Après avoir mis sa femme et ses enfants à l’abri, il
rejoignit la Délégation zone sud du comité médical de la Résistance. Il
fut de nouveau arrêté en 1944. A Drancy, emprisonné dans une cave, sans
lumière. Dépouillé de tout vêtement, les mains attachées, nourri
chichement. Un jour sur deux, les SS le faisaient ramper à plat ventre,
sur les coudes, sous les coups d’une badine de fer. Mes camarades et
moi-même tentâmes d’adoucir ces conditions. On le supplia de s’évader.
Il refusa: sa mère et des membres de sa famille avaient été arrêtés en
même temps que lui. Il fut déporté et assassiné dès son arrivée à
Auschwitz.
Claude
Aron avait été l’âme et l’animateur de ce tunnel. Ce tunnel, dont
pendant quarante ans nous avons fort peu parlé entre nous, fut mis au
jour en 1980 lors de travaux de terrassement pour construire un gymnase.
Nous le croyions disparu. Le maire de Drancy de l’époque, Maurice
Niles, sut nous retrouver et nous donner la parole. Ce tunnel fut conçu
comme un acte de résistance par des résistants.
Paru dans Libération, le 09/06/2001 – Rubrique « Courrier ».
Suite et fin de l’entretien entre Nicole BERNHEIM et Olivier GUIVARC’H le mercredi 30 décembre 2015 :
…et leur cousin ne l’a pas
fait car il n’était pas dans le même wagon. Ce qui fait que le cousin
est revenu par chance et il leur en a voulu éternellement. Vous avez,
c’est des histoires de famille.
Bon Georges était un type extrêmement déplaisant, un grand mec qui se prenait pour je sais pas quoi. Ce n’était pas le cas de mon beau-frère qui était un brave mec. Dans le train de déportation, c’était deux grands costauds, ils cassent les barreaux du wagon et ils se jettent. Mon beau-frère s’en tire bien, son frère un peu moins bien, il s’est blessé à la jambe. Mais ce qui est absolument terrible dans un cas pareil, ils étaient 60 dans le wagon, il n’y en a eu que 14 qui ont sauté parce que les autres n’osaient pas puisque leurs femmes et leurs enfants avaient été arrêtés, comme ils ne savaient pas du tout ce qui se passait, et bien ils sont restés. Alors ceux qui ont sauté du train, ben ils ont sauvé leurs peaux. Alors, ils sont restés très liés. On s’est revu après, les uns et les autres.
Et nous pendant ce temps-là, on
était en Savoie et puis on a failli y passer parce que tout d’un coup
la Savoie a été annexée par les Allemands. Le 08 septembre 1943, les
Italiens déposent les armes qu’ils n’avaient jamais eu envie de porter
d’ailleurs et les Allemands rappliquent. On était en pleine campagne,
pas loin du lac. On avait des amis qui avaient une très belle maison sur
le lac. Il y avait le directeur de l’école qui nous avait déjà proposé
ses services et en pleine nuit, qu’est-ce qu’on pouvait faire ? Et donc
le matin, on était toujours là. Alors à ce moment-là, on a téléphoné à
nos amis de Paris : » On ne peut pas rester, faut qu’on s’en aille « . Et
là ma soeur Huguette qui a fait chier tout le monde par la suite…
C’était une jolie fille mais elle était chiante, bon… Elle a fait une
chose extraordinaire, elle est allée chez son fiancé, Roland Martin,
chercher des faux-papiers pour tout le monde et elle est rentrée
tranquille. Alors on s’est réparti les faux-papiers. Alors moi je suis
partie avec ma maman parce qu’il y avait un contrôle à Amberieux
[Rhône], on contrôlait les papiers d’identité. Ça s’est très bien passé.
Mon père est ensuite parti avec mon petit-frère, ça s’est très bien
passé aussi et peut-être ma soeur Huguette, je ne me souviens plus très
exactement. Ça s’est très bien passé, nous sommes partis avec nos
faux-papiers dans la région parisienne.C’était en janvier 44 ou en
février. C’ était la seule chose à faire. Tout était très organisé, la
clandestinité pouvait être assumée. Alors je m’appelais Nicole BERNET et
j’ai été hébergé au Foyer International, boulevard Saint-Michel [Paris]
dont la directrice était une américaine, Miss Sarah Pewwatson. Elle
avait d’abord été arrêtée par les Allemands dans un premier temps car
elle aidait les Américains mais avec prudence. Ils les envoyaient dans
un camp tout à fait convenable, du côté d’ Evian. Elle les avait
tellement fait chier qu’il l’avait relâchée [rires]. Vous savez, il y a
des américaines comme ça. C’était une petite bonne femme toute ronde
avec les cheveux tout blancs et qui parlait très très mal le français et
qui avait un accent américain épouvantable [sic]. Et alors on la fait
contacter et elle a dit : » J’ai une place « . Alors j’ai cohabité entre
février et juin 44. Paris n’était pas tellement tranquille, il y avait
des tas de bombardements, il y a avait des tas de choses mais comparé au
reste, c’était une sécurité. Il fallait simplement ne pas être tué par
une bombe, ça aurait été trop bête. J’ai partagé une chambre avec une
fille à qui je n’ai pas raconté ma vie évidemment. Elle était d’une
famille de vétérinaire de Nogent-le-Rotrou [Sarthe]. C’était une fille
très gentille qui faisait des études dentaires. Ça se faisait
beaucoup à l’époque alors je ne sais plus ce que je lui ai raconté. Je
faisais Philo. Je suis allée suivre des cours de philo dans un institut
tout proche, je ne sais pas où on avait trouvé l’argent pour ça. On
avait du nous le prêter, on avait plus un rond. Vous savez c’est ces
boites privées où il y a plein de nuls et alors là, ben moi, je
travaillais, j’étais pas dans le cas des autres et catastrophe, on a eu
un professeur de philosophie qui s’appelait CUVILLIER [NDLR, il doit
d’agir d’Armand CUVILLIER connu pour avoir entre autre rédigé des
manuels de philosophie]. Alors il s’est beaucoup intéressé à ma personne
parce que j’étais bien la seule qui travaillait dans cette boite. Bon
il était ignorant de tout ce qui pouvait se passer par ailleurs, c’était
un universitaire. Alors, un jour, il me prend à part et il me dit :
« Mais qu’est-ce que vous allez faire après ?, je vois que vous vous
intéressez beaucoup, ça marche bien… ». Alors je ne sais plus, je suis
restée dans un flou artistique. Il fallait déjà que je passe mon bac,
mon deuxième bac. » Alors, Monsieur, j’espère être reçue à mon deuxième
bac et je verrais ce que je ferais, ben, je sais pas, j’aimerai bien
enseigner l’anglais « . Alors mes parents ont trouvé une maison à louer
dans la grande banlieue avec mon petit frère, et ma soeur avec son mari
évadé avaient trouvé un appartement. Et ça s’est terminé comme ça tout à
fait tranquillement. On a eu beaucoup beaucoup de chance.
[…]
On
a pas été obligé de porter l’étoile, on est parti de Chalons avant. [Le
port de l’étoile jaune n’est effective qu’en zone occupée, les BERNHEIM
étant en zone dite libre n’ont pas à la porter].
Et donc en 1944, c’est la Libération…
Alors
on avait pas de logement. Je ne sais plus comment on s’est organisé.
Alors je suis restée habiter au Foyer International. On avait récupéré
nos vrais papiers.
Et votre père retourne s’occuper de l’hôtel ?
Alors Maître CHAIGNE qui est un grand notaire de la région [Guérande] qui habitait un espèce de château à Guérande qui était un homme très très important a été tout à fait convenable. Alors, c’ était lui l’administrateur. Les Allemands lui versait du fric. Et je crois qu’il a donné de l’argent à mon père tant qu’il a pu. Je ne me souviens plus très bien de ça mais on l’ a gardé comme notaire après la guerre par reconnaissance parce qu’il avait été tout à fait convenable, ce qui n’était pas toujours le cas. Bon ça a été une erreur parce quand on a transformé l’hôtel en immeuble, il y a eu une succession de sottises incroyables. On ne pouvait pas lui en vouloir mais c’était un vieux notaire très à l’ ancienne. Alors c’était un drôle de type, il avait une très très jolie femme et il avait une très jolie fille aussi et il y avait un clerc qui était Maître Chapel qui est devenu notre notaire après. Maître Chapel est un type très bien, tout à fait charmant, mais c’est pas le grand style [rires]. Il n’a toujours pas pris sa retraite, il a encore nos papiers. Bon il est très gentil, il est très inoffensif. Bon on a touché des dommages de guerre aussi.
Bon, on a eu une chance folle. Mon père ne croyait pas que tout cela le concernait parce qu’il avait fait une très belle guerre. Il était dans une innocence totale, c’est à dire que ces histoires des mesures antisémites par les Allemands, c’était une chose incompréhensible pour les gens de son époque qui connaissait bien l’Allemagne. L’Allemagne était un grand pays. Le nazisme en Allemagne était une espèce d’ épiphénomène maladif incompréhensible pour lui. On avait rien prévu et ça nous est tombé dessus. Et mon père qui connaissait bien l’Allemagne, il avait des souvenirs romantiques de sa jeunesse en Allemagne, il avait eu une histoire à Hambourg, il avait rencontré une hambourgeoise, je ne vous dit pas [rires]. Donc pour lui, il ne s’attendait pas du tout à ça. Alors évidemment, il a fallu revenir à la réalité un peu brutalement.
L’Hôtel
sera complètement transformé en 1945 et sera vendu à la succession lors
du décès de Roger BERNHEIM puis détruit pour faire place à un immeuble.
Nicole BERNHEIM va faire des études d’anglais et veut être journaliste, elle ne voulait pas être professeur. Elle suit différents cours à l’ Université et demande une bourse pour partir aux Etats-Unis. Affectée dans un premier temps à l’ Université de Mount Holy Hoak à New York, elle se fait prendre sa place par une jeune fille plus diplômée et passe une année dans une école au fin fonds du Texas. Elle y fera un peu de théâtre. Elle ne s’y plait pas du tout et rentre à Paris par bateau et arrive au Havre, décidant de ne plus jamais y remettre les pieds. Elle va exercer la profession de journaliste à l’Express [créé par Françoise Giroud] puis va travailler pour le journal Le Monde.
« C’était
une maison très agréable à l’époque, c’était après Beuve [Beuve-Méry,
le rédacteur en chef], Beuve avait pris sa retraite. C’était déjà Fauvet
qui était le patron et Fauvet avait une maison içi [La Baule]. Quand
j’ai découvert ça, je me suis dit, il faut que j’aille lui faire la
conservation. Il avait des grands principes de vie : il faisait toute la
plage le matin avec un petit chapeau sur la tête, il avait des grands
principes d’organisation. Et un jour, je suis allée le voir. On a
discuté sur La Baule et ça m’a facilité les choses. Quand je suis
rentrée au Monde, je suis rentrée au service économique. Et puis au bout
d’un moment, j’en avais absolument ras-le-bol et puis un jour, je me
suis aperçue que je parlais anglais quand même, il n’y en avait pas
tellement. J’ai demandé le poste de New York que j’ai eu. Alors c’était
amusant parce que le poste noble, c’était celui de Washington, mais je
me barbais copieusement parce que c’était des trucs administratifs et
j’ai eu une chance parce que le titulaire du poste de Washington, Michel
Tatu, un homme très bien mais très rigoureux, il venait de se remarier
avec une vraie terreur qui lui interdisait de voyager. Et moi, j’ai pu
voyager sur tout les Etats-Unis. J’étais basée à New York. »
Elle a écrit de nombreux articles pour le Monde Diplomatique et est notamment l’auteur de Les années Reagan (Stock, 1984), Voyage en Amérique noire (Stock, 1987), L’Amérique de Clinton (Lieu commun, 1993), Où vont les Américains ? (La Découverte, 2000).
Nicole BERNHEIM ne se mariera pas et n’aura pas d’enfants.
Roger BERNHEIM, français et fervent patriote, va prendre conscience du danger à partir de son internement en 1941 qui va être décisif quant à la tournure des évènements qui vont suivre par la suite. Il déménagera cinq fois, fuyant à chaque fois que les dangers deviennent plus pressants, se servant à la fois de réseaux relationnels informels (instituteur, voisin, commissaire…), d’un réseau de relations professionnelles lui permettant en particulier de trouver un logement et de réseaux de résistance (faux-papiers).
Nicole BERNHEIM, assez jeune à l’époque, bien que consciente des dangers, a vécu cette période comme une aventure, son père ayant menti par omission pour protéger ses enfants et sa famille.
Roger BERNHEIM décède à Paris (16ème arrondissement) le 10 février 1960. Germaine BERNHEIM décède à Boulogne-Billancourt le 15 juin 1973. Jacqueline BERNHEIM s’était mariée à La Baule le 01 juillet 1935 avec Roger GERSCHEL. Le couple aura deux enfants (Jean-Claude né en 1937 et Brigitte née en 1938). Elle décède à Paris (16ème arrondissement) le 22 avril 2004. Claude est décédé (sans précision de date ni de lieu).
La famille LEVY est présente au moins depuis 1880 à Saint-Nazaire [date de la conscription d’Eugène] et Eugène LEVY s’y installe pour créer un commerce de confection à partir de 1896/1897, commerce qui sera repris en 1925 par son fils Armand LEVY.
Armand LEVY est né à Saint-Nazaire le 20 février 1888 [Père : LEVY Eugène et Mère : Rosalie BLOCH]. Il épouse Marie-Marthe (prénom usuel Marthe) BERNHEIM le 20 février 1925 à Paris (11ème arrondissement). Armand a alors 36 ans et Marthe 25 ans (née le 26 juillet 1899, Paris, 11ème arrondissement, [Père : BERNHEIM Lucien, miroitier et Mère : Clémence LEVY]). Ils auront une fille, Simone née dans le 16ème arrondissement à Paris le 18 janvier 1926.
Acte de naissance LEVY Armand [Archives Municipales Saint-Nazaire]
Registre Naissances Marthe BERNHEIM [Archives de Paris V4E_09246_0154, en ligne]
[DAVCC Caen, 21 P 477428]
Registre Mariages LEVY/BERNHEIM [Archives de Paris 11M526_0070, en ligne]
Courrier de Saint-Nazaire 23 janvier 1926 p.3 [ADLA, presse en ligne]
Armand a par ailleurs un frère et une soeur : Lucien LEVY né à Saint-Nazaire le 12 mai 1893 et une soeur Henriette née également à Saint-Nazaire le 30 mai 1895.
A l’âge de ses vingt ans, il effectue son service militaire d’une durée de 2 ans : incorporé au 65ème Régiment d’infanterie en 1909 en tant que soldat de 2ème classe, il passe au 51ème Régiment d’Artillerie à Nantes en 1911 puis au 2ème Canonnier. Il termine son service militaire le 24 septembre 1911 en ayant obtenu un certificat de bonne conduite et en étant passé soldat de 1ère classe.
Le 3 Août 1914, il est rappelé pour participer à la 1ère guerre mondiale et se trouve en sursis d’appel à l’usine Martin Bloch à Amiens : les premiers conscrits à être envoyés sur le front sont d’abord les classes 1914 (ceux qui sont nés en 1894) puis au fur et à mesure des besoins en hommes sur le front, on rappelle les classes antérieures, d’où sa position de sursis en 1914. Il rejoint le 82ème Régiment d’Artillerie le 30 juin 1916 puis au 89ème Régiment d’Artillerie Lourde en janvier 1917 où il passe brigadier le 24 février 1917 (son frère Léopold est dans le même régiment de juin 1917 jusqu’en janvier 1918). Il est proposé pour une réforme temporaire en janvier 1918 pour « Bronchite chronique, laryngite suspecte et emphysème (contractée au service). Il séjourna ainsi à l’Hôtel de l’Europe à Pau en 1918 et 1919.
Registre Matricule Armand LEVY n° matricule 2977 [ADLA, en ligne]
Armand reprend l’activité de son père Eugène en 1925 et créé le magasin « Maison Modèle » . Il est enregistré à ce titre sur le registre de commerce auprès du Tribunal de Commerce de Saint-Nazaire. Le magasin est situé 13, rue Villès-Martin.
Registre Tribunal de commerce [22U147]
Magasin du Tailleur LEVY situé à l’angle du 13, rue Villès Martin et de la rue des Quatre Vents [AMSN in « Raconte-nous Saint-Nazaire : quelques pas dans nos souvenirs]
Simone est scolarisée à l’école Marie PAPE-CARPENTIER, école communale pour filles à Saint-Nazaire, et rentre en 1936 au collège de jeunes filles de Saint-Nazaire.
Echo de la Loire 08 juillet 1936 p.5 [ADLA, presse en ligne]
La famille LEVY est très amie avec la famille MÉLOCHE. Pierre MÉLOCHE, le grand-père né en 1866 à Valparaiso (Chili) était médecin sur la place de Saint-Nazaire, notoirement connu pour toutes ses actions en faveur des oeuvres sociales locales et par ailleurs président du Groupe Artistique de Saint-Nazaire (1937). Pierre MÉLOCHE habite avec son fils Ernest né en 1896, marié à Madeleine née en 1910, le couple a deux enfants : Annick né en 1930, Jean-Claude né en 1932 et habite 24, rue Henri-Gauthier. Ernest qui s’est essayé à la profession d’agent d’assurances est visiteur médical. Jean-Claude MÉLOCHE témoigne : « Armand LEVY était tailleur, tailleur militaire. Ils ont fait de la reliure ensemble, mon père l’a initié à la reliure…Ma mère était très amie avec Marthe, ils jouaient au bridge ensemble le samedi soir donc ils avaient des relations assez étroites. »
Entre le 27 septembre et le 20 octobre 1940, Armand LEVY se déclare à la sous-préfecture de Saint-Nazaire sous le numéro 26. Les parents de son épouse Marthe (Lucien et Clémence BERNHEIM) sont également présents au 13, rue Villès-Martin au moment du recensement de l’automne 1940 et se feront également recenser.
Extrait Liste dactylographiée recensement 08 novembre 1940 [ADLA 1694W25]
Le commerce sera aryanisé par Gabriel HERVOUËT, arbitre de commerce à Saint-Nazaire. Lors de la pose de l’affichette obligatoire signalant que l’entreprise est juive et que l’entreprise est gérée par un commissaire-gérant aryen, un certain nombre de commerçants de Saint-Nazaire vont apposer une inscription « Combattant de guerre », sous entendu Anciens Combattants de la guerre de 1914-1918. Armand est ancien combattant de la guerre de 1914-1918 et blessé de guerre, son beau-frère Emile LEVY ancien combattant 1914-1918 avec Croix de Guerre et son frère Léopold ancien combattant de la guerre de 1914-1918 et blessé de guerre. Même si Armand LEVY n’est pas cité explicitement, il est probable qu’Armand LEVY se soit joint au groupe en réaction à une mesure qu’il trouve particulièrement discriminatoire
Réaction sur pancarte devanture magasin [ADLA 1694W26]
La famille n’est pas arrêtée à la mi-juillet 1942 mais est arrêtée le 15 août 1942. Nous n’avons que des informations parcellaires concernant les lieux d’arrestations. Très certainement absente lors de la rafle de mi-juillet 1942, les autorités allemandes arrêtent dans un premier temps Armand et Marthe à leur retour, Simone n’étant pas présente. Les Autorités Allemandes les questionnnent et Armand et Marthe les informent que Simone est à La Baule. Jean-Claude MELOCHE ( frère d’Annick sur la photo) témoigne : « Mon père l’a prévenu « Armand, il faut t’en aller, etc… parce que ses beaux-parents qui habitaient au-dessus [Il s’agit des parents d’Armand, Eugène et Rosalie], ils étaient partis, alors lui il s’est barré en zone libre. Mon père disait « Va-t-en ». « Non, non non, j’ai fait la guerre de 14, j’ai été gazé, je suis français 100 % ». Il a été convoqué , je sais pas , deux ou trois fois à la Kommandantur. Il voulait pas, absolument pas partir. Moi, l’arrestation m’a frappé, deux Feldgendarm qui frappent à votre porte, avec des casques et des fusils, la bavette etc…, j’avais 8 ans [en fait 10) ». Mes parents aux premiers bombardements de Saint-Nazaire ont décidé de quitter la ville et louent une villa, la Villa Madélia avenue Saint-Clair à La Baule. C’est la base sous-marine, c’est un objectif militaire, faut s’en aller. Ils [mes parents] ont du l’inviter [Simone] pour le week-end. A 19 heures, on était à table, on frappe, il y avait deux Feldgendarm avec le collier, l’arme à l’épaule, le casque allemand bien sûr : « On vient chercher mademoiselle LEVY ». Ils parlaient parfaitement français. Et puis ils l’ont emmenée à Pornichet dans une cellule de la gendarmerie. Mais les parents étaient déjà arrêtés à Saint-Nazaire dans la prison. Je pense que c’est eux qui ont du le dire que leur fille était à La Baule.
La famille est immédiatement incarcérée à la prison de Saint-Nazaire pendant trois jours jusqu’au 18 août 1942 avant d’être dirigée sur le camp de La Lande à Monts près de Tours.
Registre d’écrou Prison de Saint-Nazaire [ADLA 1804W1]Registre Entrées/Sorties Camp de la Lande août 1942 [ADIL 120W17]
Un rapport de la police municipale administrative de Saint-Nazaire de mai 1952 décrit les circonstances de la persécution de la famille.
[DAVCC Caen, 21 P 477428]Fichier De Brinon [DAVCC Caen, 21 P 477428]Fichier De Brinon [DAVCC Caen, 21 P 478220]Fichier De Brinon [DAVCC Caen, 22 P 3084]
La famille est transférée du camp de La Lande vers Drancy le 05 septembre 1942.
Apprenant l’arrestation de la famille, Lucien BERNHEIM, le père de Marthe LEVY écrit au Préfet de Loire-Inférieure pour tenter de libérer « sinon toute la famille, tout au moins la femme et l’enfant« . Cette lettre restera sans réponse.
Courrier de Lucien BERNHEIM au Préfet de Loire-Inférieure 07 septembre 1942 [ADLA 1694W25]
Armand LEVY fait partie de la catégorie C1 en tant que cadre du camp puis passe à la catégorie B de ceux qui sont immédiatement déportables. Marthe est affectée à l’infirmerie du camp où elle administre les vivres et les effectifs. Elle se rend à l’Hôpital Rotschild le 24 octobre 1942 et réintègre le camp de Drancy le 19 janvier 1943.
Ernest MELOCHE tentera d’intervenir pour faire libérer la famille sans succès.
La famille est déportée par le convoi numéro 62 du 20 novembre 1943 de Drancy à Auschwitz.
Armand LEVY est décédé à Auschwitz, il avait 55 ans et son épouse Marie Marthe 44 ans.
Après guerre, c’est Henriette LEVY (née LEVY) 20, rue Contrescarpe à Nantes, soeur d’Armand, qui effectue les démarches auprès du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre afin d’obtenir dans un premier temps les certificats de « non-rentré », puis certificats de déportation, certificats de déportés politiques et actes de décès. Des enquêtes sont menées pour connaître et vérifier les dates d’arrestation et de déportation.
Elle transférera l’activité commerciale de la « Maison Modèle » juste après-guerre au 142, avenue de Paris (actuelle avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny) à La Baule dont elle s’occupera en 1945 et 1946 puis le magasin sera loué à Madame GARBER de 1946 à 1949. L’activité commerciale cesse à cette date.
[DAVCC Caen, 21 P 477428]
Lors de l’évacuation du camp d’Auschwitz entre le 17 et le 21 janvier 1945, les détenus aux alentours de 59000 sont jetés sur les routes dans ce qu’on appelle « les marches de la mort ». Le 27 janvier 1945, les troupes soviétiques entrent dans Auschwitz y découvrant plus de 6000 prisonniers dont la plupart sont malades ou mourants. L’enquête concernant Simone LEVY en septembre 1945 relate « qu’elle a été libérée par les Russes à Auschwitz, dernières nouvelles il y a 5 mois » [c’est à dire en mars 1945].
[DAVCC Caen, 21 P 478220]
En l’absence d’informations, la famille a été déclarée décédée 5 jours après la date de départ du convoi soit le 25 novembre 1943. Simone avait 17 ans.