
Premier plan : sa mère Charlotte et son père Markus © collection particulière
Arrivés en France en 1938, Emil et Hedwig (prénom usuel Hedda) KUX fuient la persécution antisémite en Autriche suite au rattachement de l’Autriche au Grand Reich en mars 1938. Dès avril 1938, Les Juifs autrichiens doivent se soumettre au recensement.

Emil KUX est né à Tvrdosin (Slovaquie) le 14 juin 1877 [Père : Wilhem KUX et Mère Charlotte ROSENFELD]. Il est banquier et travaille dans une banque : la Bohemian Bank à Prague
Hedwig Hedda KUX [prénon usuel Hedda] née POLLAK est née le 16 octobre 1891 à Kutna Hora (Tchécoslovaquie). [Père : Wilhelm POLLAK et mère : Pauline (prénom usuel Paula) STRANSKY]. Orpheline de père à l’âge de 6 ans, son père décédant en 1897, elle vit dans un premier temps en Tchécoslovaquie où elle poursuit ses études et fréquente les cinq classes d’école primaire puis les 3 classes de collège dans un monastère allemand. Elle suit par la suite des cours dans une école d’histoire de l’art à Prague puis va poursuivre une formation de chanteuse à Vienne. Elle est en effet « Könzert-Sängerin » chanteuse soprane et se produit en tant que cantatrice interprétant un répertoire de Lieder, de mélodies en particulier au Hamburger Theater.
Elle retourne dans sa ville natale en vacances et c’est là qu’elle rencontre son futur mari Emil. Ils se marient le 05 décembre 1915 à Budapest. Ils quittent la Tchécoslovaquie pour Vienne en 1922 où Emil fonde sa propre entreprise bancaire : la « Kux, Bloch et Cie » située à Vienne [Johannesgasse 7, Wien I].
Le couple aura un enfant Peter né le 07 février 1923 à Vienne mais qui ne vivra qu’un jour.
Hedda KUX est suffisamment connue pour faire la Une du Journal « Die Buhne » le 11 juillet 1929.

Elle participe par ailleurs à des diffusions en direct de prestations musicales à la BBC. Le 21 avril 1933, la BBC diffuse en direct du Concert Hall Broadcasting House avec l’orchestre régional de la BBC des oeuvres des compositeurs Alban BERG et KRENEK sous la direction de WEBERN dans lesquelles elle est la vedette.

Le lendemain, elle intervient à la même BBC pour se produire aux cotés du quatuor à cordes « International String Quartet » composé d’André MANGEOT (Violon), Walter PRICE (Violon), Eric BRAY (Alto) et Jack SHINEBOURNE (Violoncelle) différentes oeuvres de musique classique.

Elle réintervient le 17 novembre 1933 à la BBC pour une diffusion en direct d’un récital.

La situation personnelle du couple va se trouver sérieusement détériorée après l’invasion allemande de Vienne puisqu’ Emil KUX doit liquider son entreprise. Le produit de la vente est versé sur un compte bloqué. Par ailleurs, lors de la crise des Sudètes et lors de l’arrivée des Allemands en République tchèque , Emil craint d’être arrêté en tant que Tchèque. Ils quittent Vienne pour la France en septembre 1938 et prennent un avion via Strasbourg pour atterrir à Paris.
A l’arrivée en France, Emil et Hedda KUX un temps sur Paris habitent au 102, boulevard Victor Hugo à Paris (16ème arrondissement) où ils effectuent une demande carte d’identité pour étrangers en octobre 1938 puis à l’entrée en guerre vont se diriger sur la Baule où ils logent « Villa Les Lierres » allée Suzer puis déménageront allée des Vanneaux [date d’arrivée inconnue sur la commune]. D’autres personnes les accompagnent également : Edgar NATSCHERADTEZ, Paula POLLAK, la mère d’Hedda.
Demandes de carte d’identité 1938 [Archives Nationales, fichier des étrangers 1920-1940 19940508/1391]

Emil et Hedda KUX écrivent de nombreuses lettres à leur famille et amis pour donner des nouvelles face à une situation en Europe qui empire dont celle écrite de La Baule le 27 février 1940.
Traduction page 1 :
[La Baule, le 27 février 1940, Les Lierres, ave. Suzer
Nous attendons en vain des nouvelles de vous. Indirectement, nous avons reçu des nouvelles du Directeur Steiner (via son gendre Lindenthal) et grâce à Dieu, vous allez bien et que vous êtes, cher Gustl, en affaires avec lui. Je crois que mes courriers d’ici et d’ailleurs, en des circonstances aussi exceptionnelles, se sont perdus. Je n’ai recu qu’une seule lettre de vous.
Pourquoi n’acceptez-vous pas ma suggestion de nous envoyer un message chaque mardi ? Wilh. (Wilhem) est revenu à Chur (en allemand, Coire en français, Suisse) et a, comme il l’a écrit, l’intention de rester quelque temps là-bas. La vieille Madame Lichstein qui est aussi ici (avec Mme Timbold) et Delmar) vous envoient leurs sincères salutations.]
Traduction page 2 :
[Nous continuons à vivre ici mais préférerions être avec vous. Steiner a aussi l’intention de fuir avec ses enfants. Je crois évidemment qu’on ne veut pas de nous ici. Votre cher Gustl a été plus intelligent de ne pas venir ici. Vous et Vicky avez été très épargné jusqu’à maintenant.
De Robert, Mami et Alfred nous avons plus de nouvelles qui semblent positives. Je ne sais pas combien de temps je vais rester sans emploi ici.
Ecrivez-moi bientôt et racontez-moi ce que vous faites.
Nous vous envoyons nos sincères salutations aux Zetland, spécialement Maman vous envoie des sincères salutations à vous et aux Zetland.
Toujours votre Emile.
Est-ce que Vicky fait beaucoup la fête ? Et a-t-il eu le temps de se marier à une très très riche australienne ?
Note marginale, écriture différente, celle de Hedda KUX
[Nous sommes très offensés de votre silence dans notre exil. ! Loin des yeux, loin du coeur ! Plein de bonnes choses !, Hedda]
Conformément à la 1ère ordonnance allemande, Emil KUX se fait recenser en tant que Juif au commissariat de La Baule (ou à la sous-préfecture de Saint-Nazaire) entre le 27 septembre et le 20 octobre 1940 sous le numéro 54.
![Extrait liste dactylographiée recensement 08 novembre 1940 [ADLA 1694W25]](https://shoahpresquile.files.wordpress.com/2019/04/kuxemilrecensement.jpg)
Ils se rendent à Nantes pour obtenir un visa d’émigration au Consulat des Etats-Unis et seront placés sur liste d’attente.
Emil et Hedda ainsi que la mère d’Hedda quittent La Baule pour aller à Paris en novembre 1940 juste après le recensement.
![Contrôle déplacement Israélites novembre 1940 [ADLA 1694W25]](https://shoahpresquile.files.wordpress.com/2019/04/01deplacementjuifsnovembre19401694w25.jpg)
Emil KUX décède à son domicile au 5, rue Debrousse à Paris (16ème arrondissement) le 04 mai 1941 à 12 heures.
![Acte de décès d'Emil KUX [Archives de Paris,16D163 0092]](https://shoahpresquile.files.wordpress.com/2020/03/kuxdc3a9cc3a8sarchives_ad075ec_16d163_0092.jpg?w=1024)
Hedda KUX quitte Paris et passe la ligne de démarcation. Elle raconte :
Après la mort de mon mari, j’ai fui Paris car on disait que tous les Juifs étaient placés dans des camps de concentration.
Accompagnée de mon ami Natscheradetz Edgar et de ma mère, j’ai pu m’évader vers la France inoccupée via la ligne de démarcation. Nous nous sommes installés à Pau (Basse-Pyrénées).
Au printemps dernier, on nous a donné un endroit où nous pouvions aller. C’était Morlaas dans le même département.
Au bout de quatre semaines, je suis parti de Morlaas avec un laissez-passer selon lequel j’avais le droit de visiter Uriage-les-Bains près de Grenoble. Pendant ce temps, mes amis ont été arrêtés à Uriage pour être déportés. J’ai moi-même reçu un appel téléphonique de Morlaas que j’avais reçu une visite, c’est-à-dire que j’aurais dû y être arrêtée moi-même. Je me suis caché après ces événements. Mon ami a pu s’échapper de Morlaas avec d’autres personnes et ils sont venus me voir à Uriage.
J’ai pu engager un guide à Grenoble qui nous a emmenés à Abondance [Haute-Savoie] pour 7 000 francs. Là, nous avons embauché deux guides, c’est-à-dire les guides ont été commandés par le conducteur de la voiture, qui nous y avait amenés. Ces guides nous ont fait traverser la frontière suisse pour 18 000 francs français. Nous avons passé la frontière à une hauteur d’environ 2500 m sur une montagne dont je ne connais pas le nom. La première ville sur le sol suisse a été Tanne, de là nous avons toujours marché jusqu’à Saint-Moritz, où nous avons pris le train pour Lausanne et Zurich.
Explications :
1 – Emil et Hedda KUX quittent donc La Baule pour Paris où ils résident de novembre 1940 jusqu’en juin 1941 puis Hedda, Edgar NATSCHERADETZ et Paula POLLAK à Pau de juin 1941 jusqu’en avril 1942 puis Moorlas d’avril 1942 jusqu’en septembre 1942.
2 – Hedda KUX parle d’arrestations dans la région de Pau alors en zone non occupée en août/septembre 1942 et donc en théorie sous contrôle français. Suite aux pressions allemandes demandant la livraison de 10000 Juifs en zone non occupée estimant que les déportations ne vont pas assez vite, le gouvernement de Vichy (Pierre Laval et René Bousquet) s’exécute et organise des rafles en zone dite libre le 26 août 1942 arrêtant ainsi 6584 personnes, hommes, femmes, enfants, personnes âgées poursuivies au moins jusqu’au 30 août 1942 et arrêtant ainsi 1041 personnes supplémentaires.
3 – Hedda et Edgar quittent la région grenobloise le 26 août 1942 et passent la frontière clandestinement un samedi après-midi, le 20 septembre 1942, par le col des Cornettes de Bise (2450 m.) par Faney – Les Evouettes.
4 – Le salaire moyen en France en 1940 est de l’ordre de 1300 francs français pour un travailleur industriel, de 1500 francs français pour un professeur, de 800 francs logée, nourrie pour une employée de commerce, de 1200 francs pour une sténo-dactylographe…
5 – L’ingénieur POLLAK Robert (cité par Hedda KUX lors de son interrogatoire par la police suisse) né le 10 octobre 1883 est interné au Camp de Gurs France. Le camp de Gurs internera jusqu’à 18000 personnes dans des conditions déplorables. Six convois partiront du Camp de Gurs vers Drancy puis Auschwitz. La mère d’Hedda, Paula POLLAK dont le dernière domicile connu est situé dans les Pyrénées-Atlantiques et dont nous ne savons pas si elle a été internée au camp de Gurs ne figure sur la liste des personnes décédées au camp. http://www.campgurs.com/media/1161/la-liste-alphab%C3%A9tique-des-d%C3%A9c%C3%A8s-au-camp-de-gurs.pdf
5 – la politique de contrôle des étrangers par la Suisse :
En juillet 1938, l’échec de la conférence d’Évian démontre les fortes réticences des États face aux victimes des nazis, ce qui permet à ceux-ci de multiplier les mesures discriminatoires. Cette évolution aggrave la situation de la Suisse et les soucis des autorités fédérales, car les refus des autres pays multiplient les limites drastiques aux possibilités de faire repartir vers l’étranger, en particulier vers l’outre-mer, les personnes qui ne devraient que transiter par la Suisse. Les dirigeants suisses souhaitent pouvoir décider quelles personnes sont autorisées à entrer dans le pays…. …Un accord germano-suisse entre Heinrich Rothmund (1888-1961) directeur de la division de la Police, haut fonctionnaire qui dirigea la politique migratoire de la Suisse de 1919 à 1954 et les autorités allemandes prévoit l’apposition de la lettre J aux sur les passeports le 29 septembre 1938…….Cette politique de refoulement aux frontières porte ses fruits mais au cours de l’année 1942, la politique suisse connaît des inflexions et des assouplissements temporaires en particulier en août et septembre 1942.Toutefois, les assouplissements perceptibles en automne vont être temporaires, car l’invasion de la zone non occupée de la France par l’Allemagne va entraîner en décembre 1942 un encerclement complet de la Suisse par l’Axe et donc des mesures plus restrictives face aux fugitifs.
source : https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2015-2-page-51.htm?contenu=article
Hedda et Edgar ont donc profité d’une fenêtre d’ouverture pour rentrer dans le pays. Avant ou après, ils en auraient été refoulés ou expulsés.
A leur arrivée en Suisse, Hedda et Edgar dont elle s’est éprise vont séjourner librement chez la future ex-femme d’Edgar [Edgar est en instance de dicorce] qui va les loger à Zurich chez des amis de son propriétaire puis ils se présentent spontanément à la police suisse le 21 septembre 1942 où ils subissent un interrogatoire dans la salle de détention de la caserne de police interrogée en tant que réfugiés juifs puis ils sont placés dans un camp pour réfugiés géré par l’administration militaire à Adliswil (Suisse) à partir du 17 octobre 1942. La législation suisse sur les conditions d’hébergement dans les camps de réfugiés précise que ceux-ci doivent pouvoir subvenir à leurs besoins ou pouvoir effectuer un travail afin de na pas être à la charge du pays. Hedda précise : « Un long séjour dans un camp pourrait endommager ma voix et donc ma future existence ». Aucune précision n’est apportée quant au type de travail qu’elle a pu effectuer. Par ailleurs,dans ces déclarations, elle précise qu’elle est protestante et sera régulièrement aidée par le comité d’aide aux réfugiés de l’Eglise Protestante à Berne.
Hedda quitte le camp d’Adliswil le mercredi 24 février 1943 par le train de 15h23 pour se rendre au Foyer pour réfugiés de Brissago (Suisse) géré par l’administration centrale des camps de travail. Financièrement, elle dispose d’un garant en la personne de Monsieur Richard BUCHSCHACHER, Tödistrasse 36 à Zürich qui va transférer des fonds à la VolksBank de Zürich mais pour lesquels une autorisation est systématiquement demandée lors de son utilisation.
En février 1944, elle reçoit une allocation de 50 francs suisses par jour puisqu’elle est promue chef de groupe dans le camp. Hedda tombe malade du 02 février au 04 mars 1944 et suit un traitement médical jusqu’au 04 mai de la même année.
Elle quitte la camp de Brissago pour le Foyer pour réfugiés de Post-Savoy à Lugano-Paradiso (Suisse) le 30 avril 1944 qu’elle quitte avec Edgar le 14 juillet 1944 pour le Foyer de réfugiés « de La Paix » également à Lugano. Elle va subir des soins dentaires qui nécessiteront l’intervention d’orthodontistes à l’hiver 1944 et sera placée dans une maison de repos pendant trois semaines à Castagnola (Lugano, Suisse). Elle précise dans un courrier adressé au Département Fédéral de Police de Berne :
En raison de ma mauvaise santé, la direction de ma maison m’a donné des vacances extraordinaires de 3 semaines. J’ai un besoin urgent d’argent pour des médicaments, des aliments salés et pour pouvoir prendre le bus d’une paire de chaussures, de chaussettes et de bas.
Le 25 avril 1945, elle se propose pour participer à concert de charité dans la cathédrale de Lugano au profit d’une oeuvre suisse. Le service Formation et Loisirs du camp approuve sa demande et elle se produit en apparition publique le 03 mai 1945.
Hedda quitte le foyer de « la Paix » de Lugano pour le foyer de réfugiés « Rheingold » à Castagnola-Lugano le 07 mai 1945 où elle y reste trois mois pour intégrer un nouveau foyer de réfugiés à Lugano-Paradiso, le « Flora » le 31 juillet 1945 puis le foyer de réfugiés « Eldorado » à Lugano-Castagnola ». Edgar et Hedda demandent à en être libérés mais leur demande sera refusée.
L’officier de police de commandement, Ter. 9b a reçu votre lettre du 7 août 1945 concernant les réfugiés tchécoslovaques Hedwig KUX-POLLAG, né le 16 octobre 1891, et Edgar NATSCHERADETZ, né le 27 avril 1893. En réponse, nous vous informons que, comme la municipalité n’accepte pas d’accueillir des réfugiés dans sa municipalité, nous ne pouvons pas accéder à votre demande.
Ils réintègrent le foyer de réfugiés « Flora » au début de l’automne 1945.
Hedda KUX figure sur une liste de réfugiés présents en Suisse en 1945
Liste de réfugiés Suisse 1945, 2 p. [AN F/18/49 (3.1.1.3)]
Elle effectue une demande de visa à la fin de l’année 1945 auprès du Consulat des Etats-Unis, obtient les certificats de bonne conduite demandés nécessaires à son émigration. Hedda KUX qui avait perdu sa nationalité tchécoslovaque par mariage avec Emil était devenue en théorie apatride suite au décès de son mari en mai 1941. Elle réintègre la nationalité tchécoslovaque en février 1946. Elle quitte définitivement le foyer pour réfugiés de La Paix de Lugano-Paradiso en Suisse le 14 mars 1946 et émigre aux Etats-Unis dans la foulée. Nous ne connaissons pas la manière dont Hedda a pu émigrer aux Etats-Unis. Edgar, lui, avait pris un avion via l’Ecosse pour se rendre à New-York.
Edgar (qui a changé de nom en arrivant sur le sol américain et qui porte désormais le nom de Edgar R. NASH) et Hedda se marient le 21 janvier 1948 New-York.