CREANGE Pierre, Raymonde, Françoise, Robert [152]

Pierre et Raymonde CREANDE et leurs deux enfants Françoise et Robert sans date © collection particulière
Pierre et Raymonde CREANGE et leurs deux enfants Françoise et Robert sans date © collection particulière archives familiales

Né le 24 octobre 1901 à Paris (8ème arrondissement), Samuel Pierre Créange (prénom usuel Pierre) et sa femme Raymonde Esther née CAHEN née le 26 novembre 1900 (Paris, 16ème arrondissement) ont vécu de 1935 à 1942 avec leurs deux enfants Françoise Gabrielle née le 26 août 1929 à Paris (16ème arrondissement) et Robert Michel Hayem né le 18 avril 1931 à Paris (16ème arrondissement) au 4 bis, rue Anna Jacquin à Boulogne-Billancourt.

Acte de naissance de Pierre CREANGE [Archives Municipales Paris, en ligne]
Acte de naissance de Pierre CREANGE [Archives Municipales Paris, en ligne]
[DAVCC 21 P 439 524]
[DAVCC 21 P 439 524]

Pierre Créange était militant de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière), il luttait sans relâche contre le racisme et l’antisémitisme et était membre de la Ligue des Droits de l’Homme. A Boulogne-Billancourt, il avait créé la première Université populaire, L’Université Henri Barbusse. Pierre Créange était poète et avait publié avant guerre quatre recueils de poésies ainsi qu’un livre en prose, « Epitres aux Juifs ».

La famille de Raymonde passe ses vacances au moins depuis 1909 l’été à Préfailles et y réside à l’été 1939. Raymonde, Françoise et Robert y restent et les enfants vont effectuer leur rentrée scolaire en septembre 1939 jusqu’à la mi-juillet 1940. Pierre, mobilisé à l’entrée en guerre, n’est pas présent et rejoint la famille en août 1940 au moment de sa démobilisation.

Entre le 27 septembre et le 20 octobre 1940, Pierre CREANGE se déclare en tant que Juif auprès de la sous-préfecture de Saint-Nazaire sous le numéro 152. Il est le dernier à le faire. Il réside alors Villa Marouf à Préfailles au 4, rue Joseph Laraison.

Extrait liste dactylographiée recensement 08 novembre 1940 [ADLA 1694W25]
Villa Marouf 1934 © collection particulière
Villa Marouf 1934 © collection particulière archives familiales
Villa Marouf Préfailles côté rue
Villa Marouf Préfailles côté rue © collection particulière

En octobre 1940, la famille rejoint Boulogne-Billancourt et Françoise fait son entrée en 6ème au lycée La Fontaine (Paris 16ème arrondissement).

L’intensification des mesures de persécution antisémite incite la famille Créange à passer la ligne de démarcation pour atteindre la zone libre. Lors de cette tentative, les parents Créange ainsi que le grand-père maternel, Prosper Cahen, furent arrêtés par les Allemands.

Robert a 11 ans ce jour d’août 1942 : « Pendant la guerre et l’occupation, mon père, Pierre Créange, militant de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière – le parti socialiste français), franc-maçon, juif et poète, a très vite été recherché. Aussi bien par la police française que par la Gestapo.
Après la rafle du Vel’dHiv, du 16 juillet 1942, il a décidé de nous faire passer la ligne de démarcation pour rejoindre la zone libre, avec ma mère, mon grand-père maternel et ma sœur âgée de 13 ans. Nous savions qu’il y avait danger, mais nous ignorions complètement l’existence des camps et des chambres à gaz
. »

La famille avait pris un passeur à Paris, direction Angoulème puis la Rochefoucauld (Charente). Il a divisé le groupe et a fait avancer les enfants d’abord.

Récit de Jean Salomon, petit-fils de Prosper Cahen, dans son journal :

« Le passeur a pris Françoise et Robert sur sa bicyclette et les a conduits dans une cachette, puis a transporté les bagages. Les autres n’avaient plus alors qu’à faire 500 mètres jusqu’à la cachette. Au bout de trois quarts d’heure d’attente, les enfants – inquiets – en sont sortis.    

Ils ont trouvé un Allemand barrant la route et une auto emmenant leurs parents – une auto française conduite par un Français, mais transportant des Allemands. » (Jean Salomon, 18.08.1942).

C’est à ce moment-là que, selon le récit familial, que Pierre aurait dit qu’il ne connaissait pas ces enfants.

Françoise et Robert, arrivés de l’autre côté de la ligne, ont télégraphié aux Salomon : « Sommes arrivés Montbron seuls. Prière nous téléphoner au 27 entre 13 et 15 heures. Françoise Robert Créange. » (Télégramme du 17.08.1942).   

Leur oncle Jean Créange et leur cousin, Jean Salomon, fils de Paule, sont venus les chercher à l’Hôtel de France de Montbron. 

Témoignage de Robert Créange : « Ce jour d’août 1942, ma sœur et moi, nous avons vu nos parents pour la dernière fois, arrêtés par les Allemands. Recueillis par une tante [Paule Salomon née Cahen] à Périgueux, nous avons pu échanger quelques cartes avec nos parents, tant qu’ils étaient dans la prison de Poitiers et dans le camp de Drancy, jusqu’à l’arrivée de la dernière lettre, sur laquelle un gardien avait inscrit “Partis le 18/09/1942 pour destination inconnue”…
Nous n’avons plus rien su de notre mère, certainement gazée à l’arrivée. Pour notre père, quelqu’un, qui en est revenu, nous a raconté et rapporté deux de ses poèmes écrits au camp. Notre grand-père a eu plus de chance, après la libération, nous l’avons retrouvé à Boulogne-Billancourt
 ».

Pierre et son épouse Raymonde sont transférés à la prison de Poitiers puis sur le camp de Drancy où ils arrivent le 14 août 1942.

Fiches d’internement du Camp de Drancy [Archives Nationales, F9/5686]

Pierre et son épouse sont déportés vers le camp d’Auschwitz-Birkenau le 18 septembre 1942 par le convoi numéro 34.

Liste convoi 34 [CDJC, Mémorial de la Shoah, en ligne]
Liste convoi 34 [CDJC, Mémorial de la Shoah, en ligne]

Pierre Créange, 41 ans, est transféré dans le camp de Klein Mangersdorf, annexe d’Auschwitz.

Charles Baron jeune déporté de seize ans, présent dans le même camp, témoigne : « Il avait trouvé du papier, un crayon, et, sur un coin de table, il écrivait ses poèmes. Il dégageait une espèce de tranquillité. Il nous rassurait. Il parlait de sa femme, de ses enfants. » Mais un jour ses lunettes sont piétinées par un gardien. D’une totale myopie, il ne peut plus rien faire, et est renvoyé à Auschwitz où il est assassiné, on ignore la date et les circonstances exactes. Deux de ses poèmes sont parvenus à ses enfants après le retour des survivants.

Exil

Horizons fermés
Fils barbelés
Banales baraques interchangeables
Travail morne qui ne console pas
Frères de misère
Qui parfois à nos misères ajoutez…
Solitude dans la multitude
Langue étrangère
Paysages et visages hostiles
Ou fermés.
Notre destin nous est rivé
A toi, mon aimée,
Comme à moi,
Pour des jours et des jours
Longs à traîner.
Nous sommes éparés,
A l’absence s’ajoute le silence.
Si parfois la violence de ma peine décroît
Et semble s’assoupir
Comme s’atténue le froid quand tombe la neige,
C’est que ta pensée,
De son aile impalpable, m’a caressé.
La vie nous semblera une merveilleuse aventure
Lorsque nous serons réunis.
Parfois je crois voir notre retour,
Mon amour…
Les embrassements triomphants
De nos enfants, Grandis et mûris par l’épreuve,
L’étreinte de nos parents,
Vieillis mais retrouvés…
Les yeux tendres du vieux chien,
Et l’accueil même des choses,
Et le sourire perlé de nos roses.
Jamais nous n’aurons été
Si père l’un de l’autre.
La maison nous sera douce, si douce…
Nous deviendrons casaniers
Parmi les amis et les livres retrouvés,
Sous les yeux attendris des aïeux
Dans leurs cadres patinés.
Horizons fermés
Fils barbelés
Banales baraques interchangeables
Travail morne qui ne console pas
Frères de misère
Qui parfois à nos misères ajoutez…
Solitude dans la multitude
Langue étrangère
Paysages et visages hostiles
Vous serez comme un cauchemar
Dont le jour d’un coup délivre!
Je reverrai bientôt tes yeux mon adorée,
Et j’embrasserai en pleurant tes cheveux.

Fait divers au Lager

Il est arrivé un soir,
Juif parmi d’autres juifs,
– Inconnu parmi les inconnus –
Il est arrivé un soir
Avec vingt autres hommes,
Sa valise et sa peine
Courbant ses épaules.

C’était un être au destin banal.
Ou peut-être avait-il été quelqu’un.
Tu n’as rien livré de toi;
Tu ne nous a pas parlé:
Passant discret, tu es passé,
A peine as-tu donné ton nom,
Et ton regard déjà atone…
On t’a couché
Et tu ne t’es pas relevé.

Tu es parti à midi
Le vent d’ouest hurlait.
Une charrette a porté à travers la plaine
Le pauvre cercueil de bois blanc,
Et quatre des nôtres ont suivi ton corps.
Tandis qu’un soldat en armes
Gardait le mort et les vivants
–Alors j’ai vu de furtives larmes anonymes de femmes–
Préludes aux larmes qui couleront ailleurs…

Enfin au cimetière,
Quelques prières,
Et les rituelles pelletées de terre…

Un juif à rayer sur les registres
Et c’est tout.

La documentation réunie au Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre pour renseigner les familles après guerre dont une partie consacrée au Camp d’Auschwitz précise les circonstances du décès de Pierre CREANGE : décédé au Camp de Gogolin [sous-camp d’Auschwitz] en Avril 1943 de dysenterie.

[Archives Auschwitz, DAVCC Caen, 26 P 821]

Raymonde et son mari Pierre ont été exterminés sur le site d’Auschwitz. Ils avaient tous les deux 41 ans.

Le 19 mai 2011, une plaque commémorative à la mémoire de Pierre Créange et de son épouse Raymonde a été posée au 4 bis rue Anna Jacquin à Boulogne-Billancourt (Anciennement rue Buzenval). Cette plaque a été inaugurée par le Député-maire de Boulogne-Billancourt Pierre-Christophe Baguet et l’équipe municipale en présence des enfants de Pierre et Raymonde Créange : Robert Créange, Secrétaire Général de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes) et Françoise Créange-Picard. Plusieurs membres et amis de la famille Créange étaient également présents. [Source : Mairie de Boulogne-Billancourt]

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